Bombardier Transport n’est plus, mais les emplois ne partent pas avec elle. En partenariat avec son « investisseur de rêve », la Caisse de dépôt et placement, l’acheteur Alstom s’engage « noir sur blanc » à créer au Québec un siège social nord-américain qui chapeautera le travail de 13 000 employés.

L’acquisition de Bombardier Transport devrait coûter entre 5,8 et 6,2 milliards d’euros (de 8,3 à 8,9 milliards de dollars) à Alstom, après certaines déductions, notamment l’argent qui se trouvera dans les coffres de la division à ce moment. Tout inclus, Bombardier évalue la transaction à 8,2 milliards de dollars américains (10,8 milliards canadiens).

C’est au moins la troisième fois qu’Alstom et Bombardier discutent d’un rapprochement dans le domaine ferroviaire. Deux choses avaient changé cette fois, a expliqué lundi à La Presse le PDG d’Alstom, Henri Poupart-Lafarge.

« La première, qui est très importante, c’est que le marché a changé. Le marché est très porteur. Ça fait une opération où les gens sont plus volontaires, parce qu’il y a énormément de besoins, il y a ce défi de la mobilité. »

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Henri Poupart-Lafarge, PDG d’Alstom

« Ensuite, les planètes étaient alignées. Aujourd’hui, Bombardier est plus clairement vendeur et Alstom, plus clairement acheteur. La rencontre était plus facile. Avant, les positions étaient plus ambiguës sur cette question-là. »

Bref, les conditions prometteuses rendaient Alstom plus encline à ouvrir ses goussets et Bombardier ne cherchait plus à garder le contrôle, ou une partie du contrôle, de l’entreprise fusionnée.

À cela s’ajoute la possibilité pour Alstom d’accueillir la Caisse de dépôt comme plus important actionnaire.

« C’est un investisseur de rêve pour nous », affirme M. Poupart-Lafarge. D’abord en raison du profil long terme de la Caisse, puis de son intérêt pour le développement durable, et enfin en raison de son implication dans différents projets d’infrastructures, qui pourrait éventuellement ouvrir des portes à Alstom.

« Je le dis sans flagornerie, il y a peu d’investisseurs que nous aurions pu trouver aussi intéressants pour Alstom. »

Siège social nord-américain

Selon le nouveau PDG de la Caisse, Charles Émond, Alstom s’est engagée par écrit, « noir sur blanc », à installer au Québec un siège social pour l’Amérique du Nord qui sera plus que la simple somme des activités déjà existantes des deux entreprises au Québec.

« Ce sont vraiment des engagements additionnels, affirme M. Émond. Il y a 13 000 personnes qui vont se rapporter au nouveau chef des Amériques. »

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Charles Émond, nouveau PDG de la Caisse de dépôt et placement du Québec

Les activités de recherche et de développement pour des produits nord-américains, actuellement réalisées en France par Alstom, seront transférées au Québec, selon M. Poupart-Lafarge. C’est aussi au Québec que l’entreprise concentrera ses recherches dans le domaine de la « mobilité intelligente », notamment les centres de contrôle multimodaux.

Le communiqué de la Caisse parle aussi d’un engagement pour « l’expansion des activités pour les sites manufacturiers de La Pocatière et de Sorel-Tracy grâce à des opportunités accrues basées sur leurs expertises ».

Investissement payant

La Caisse pourra nommer deux des « quatorze ou quinze » membres du conseil d’administration de la future Alstom, en plus d’un observateur. Sa participation de 18 % lui donnera aussi 18 % des droits de vote, l’entreprise prévoyant éliminer dans le cadre de l’opération ses actions à votes multiples.

La Caisse obtient cette participation en échange de la part de 32,5 % qu’elle détenait dans Bombardier Transport et d’un investissement additionnel de 700 millions d’euros (1 milliard CAN).

La part dans Bombardier Transport, acquise pour 1,5 milliard de dollars américains en 2016, était assortie depuis lors d’un rendement annuel composé garanti minimal de 15 %, qu’elle a obtenu grâce aux dividendes versés depuis quatre ans et à la somme de 2,1 à 2,3 milliards de dollars en actions d’Alstom qu’elle recevra au moment de la clôture.

Une partie (environ 550 millions US) de la contrepartie reçue par Bombardier sera elle aussi versée en actions d’Alstom. Celles-ci pourront toutefois être écoulées sur les marchés trois mois après la clôture de la transaction, et le chef de la direction financière de Bombardier, John Di Bert, a laissé peu de doutes jeudi quant au fait qu’il s’agira effectivement de la voie empruntée à ce moment.

En attente d’autorisations

Il pourrait falloir attendre plus d’un an avant que la transaction ne soit conclue, le temps notamment d’obtenir l’autorisation de la Commission européenne. Cette dernière a rejeté il y a un an presque exactement une transaction similaire entre Alstom et Siemens. M. Poupart-Lafarge se dit néanmoins optimiste.

Le principal problème avec Siemens était la signalisation, et ça n’en est pas un cette fois-ci.

Henri Poupart-Lafarge

Alstom, Siemens et Thales sont les trois plus grands fournisseurs de signalisation, précise-t-il, alors que Bombardier ne vient qu’au 5e rang.

« Sur le matériel roulant, les positions sont similaires, mais la Commission n’avait pas trouvé à redire au matériel roulant, en dehors des trains à grande vitesse, pour lesquels là aussi Bombardier est moins important que Siemens. »

Alstom estime pouvoir dégager des économies annuelles d’environ 400 millions d’euros (530 millions CAN) quatre ou cinq ans après la clôture. Pour y arriver, explique M. Poupart-Lafarge, elle entend d’abord redresser Bombardier Transport, qui vit des difficultés opérationnelles depuis un an.

Elle entend ensuite économiser grâce à un pouvoir d’achat accru, mettre en commun certaines pièces sur des plateformes des deux entreprises et réduire les frais de recherche et développement.

« Par exemple, nous développons de la maintenance prédictive, Bombardier fait de même, nous allons mettre cela en commun. »

Trois choses à savoir sur Alstom 

Le groupe dans sa conception actuelle est né après la cession de la division énergie à l’américaine General Electric (GE), dont il a racheté les activités de signalisation ferroviaire. La Commission européenne a bloqué en février 2019 un projet de fusion avec les activités ferroviaires du groupe allemand Siemens, le laissant seul, mais doté d’un carnet de commandes record et d’une trésorerie excédentaire. Alstom, dont le siège social est à Saint-Ouen, dans la banlieue nord de Paris, emploie quelque 36 300 personnes dans 60 pays. Alstom doublera donc le nombre de ses employés en y ajoutant les quelque 40 000 salariés de Bombardier Transport. La nouvelle entreprise aura un chiffre d’affaires d’environ 18 milliards US, ce qui la placera devant Siemens (10 milliards US), mais loin derrière la chinoise CRRC (34 milliards US). — Agence France-Presse et La Presse