L'escalade des tensions diplomatiques entre le Canada et l'Arabie saoudite depuis le mois d'août semble rattraper SNC-Lavalin, au point où l'entreprise ne ferme pas la porte à un éventuel retrait de ce pays du Moyen-Orient.

Évoquant également des pertes découlant d'un contrat minier non précisé obtenu en 2016 - et une décision d'arbitrage défavorable entourant un projet en Australie -, l'entreprise établie à Montréal a prévenu lundi que ses résultats de l'exercice 2018 seront largement inférieurs à ce qui était initialement prévu.

Cet avertissement a fait plonger le titre de la multinationale à la Bourse de Toronto, qui a abandonné 13,49 $, ou 27,81 %, pour clôturer à 35,01 $, soit son plus bas niveau depuis septembre 2012. En une séance, l'entreprise a ainsi vu sa valeur boursière fondre d'environ 2,37 milliards.

La récente décision du Canada d'offrir l'asile à une jeune Saoudienne - le plus récent épisode de la querelle entre Ottawa et Riyad - n'a rien fait pour aider la firme d'ingénierie, qui a décidé de procéder à une révision des pays où elle est présente ainsi que des clients avec qui elle brasse des affaires.

« La relation ne s'est pas améliorée avec la récente position vis-à-vis la demandeuse d'asile, a dit le chef de la direction de SNC-Lavalin, Neil Bruce, au cours d'une conférence téléphonique. Du point de vue de l'Arabie saoudite, cela n'a pas bien passé du tout. »

Ces commentaires constituent un changement de ton majeur par rapport à l'automne, alors qu'en novembre, le grand patron de la société s'était montré plutôt rassurant auprès des investisseurs.

Mais le contexte a changé et il est de plus en plus difficile pour SNC-Lavalin de décrocher de nouveaux contrats dans ce pays du Moyen-Orient, ce qui aura un impact sur ses revenus au quatrième trimestre ainsi qu'en 2019.

Marché important

En 2017, la multinationale a généré des revenus d'environ 1 milliard en Arabie saoudite - un marché clé pour son secteur pétrolier et gazier -, soit 11 % de son chiffre d'affaires total. L'entreprise compte quelque 9000 de ses 50 000 employés dans ce pays du Moyen-Orient, mais cela pourrait bientôt changer.

« Nous allons évaluer avec qui nous faisons affaire et les pays dans lesquels nous sommes présents afin de nous assurer d'avoir plus de prévisibilité », a expliqué M. Bruce.

Cette responsabilité sera confiée à Ian Edwards, qui vient d'être nommé chef de l'exploitation. Celui qui était à la tête de la division des infrastructures depuis 2014 relèvera directement du grand patron de la compagnie. La semaine dernière, M. Bruce avait annoncé la nomination de Craig Muir, qui travaillera depuis l'Arabie saoudite, à la tête de la division pétrolière et gazière.

Entre-temps, SNC-Lavalin a l'intention de comptabiliser une charge de dépréciation après impôts de 1,24 milliard, ou 7,06 $ par action diluée, liée aux activités de son secteur pétrolier et gazier. La valeur de ce secteur a été révisée à 1,2 milliard, ce qui constitue une diminution d'un peu moins de 50 %.

La plupart des analystes financiers ont été déçus des nouvelles annoncées par la firme d'ingénierie ainsi que du ton employé par M. Bruce lorsqu'est venu le temps de discuter des perspectives à court terme.

« À la lumière de cet avertissement, la crédibilité de la direction sera (évoquée) », a estimé Derek Spronck, de RBC Marchés des capitaux, dans une note envoyée par courriel.

Plus important actionnaire de SNC-Lavalin avec une participation d'environ 20 %, la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) y est allée d'un vote de confiance à l'endroit de l'entreprise. Un porte-parole, Maxime Chagnon, a indiqué que « les soubresauts ponctuels dans le marché » n'ébranlaient pas l'opinion de l'institution à l'égard de la compagnie et de ses « perspectives de performance solide à long terme ».

Pour l'exercice terminé le 31 décembre, l'entreprise s'attend à ce que le profit ajusté par action de ses activités d'ingénierie et de construction oscille entre 1,15 $ et 1,30 $. De son côté, le bénéfice ajusté de l'entreprise devrait varier dans une fourchette allant de 2,15 $ par action à 2,30 $ par action.

En novembre, les prévisions de SNC-Lavalin faisaient état d'un bénéfice par action de 2,60 $ à 2,85 $ lié à ses activités d'ingénierie et de construction, alors que le profit ajusté par action devait varier entre 3,60 $ et 3,85 $.

D'autres problèmes

Au Canada, l'entreprise fait toujours face aux accusations criminelles déposées à son endroit en 2015 par la Gendarmerie royale du Canada. En cas de condamnation, elle pourrait être écartée des appels d'offres fédéraux pour une période pouvant atteindre dix ans.

De passage à Montréal pour une annonce, le ministre québécois de l'Économie, Pierre Fitzgibbon, qui a déjà manifesté son inquiétude à propos de la vulnérabilité de SNC-Lavalin entourant une prise de contrôle étrangère, a décoché une flèche à Ottawa en commentant le dossier.

« Ce que l'on voit malheureusement, c'est le résultat un peu de l'inaction fédérale sur l'enjeu légal », a-t-il lancé, en mêlée de presse, avant de réitérer qu'il voulait s'assurer du maintien du siège social de l'entreprise à Montréal.

Le Service des poursuites pénales du Canada refuse toujours de négocier un accord de réparation avec l'entreprise. Ces ententes prévoient généralement le paiement d'une amende et une série de conditions à respecter en échange d'un abandon des procédures judiciaires.

À la fin octobre, SNC-Lavalin s'était tournée vers la Cour fédérale pour demander une révision judiciaire de la décision des procureurs fédéraux.