Parmi les milliers de réfugiés syriens qui ont fui la guerre pour s’installer au Canada, 7583 se sont établis au Québec au cours des années 2015 et 2016. Que sont-ils devenus ? Ont-ils trouvé un emploi ? La Presse a appris que plus de 350 d’entre eux travaillent actuellement dans les deux usines de Canada Goose à Montréal et à Boisbriand.

« Je suis bien ici »

Le son des machines à coudre rythme la production des célèbres manteaux en duvet d’oie. En visitant les vastes locaux des usines de Montréal et de Boisbriand, on est surpris par la propreté des lieux et la belle luminosité. Rien à voir avec les images des usines chinoises que plusieurs ont en tête. C’est dans cet environnement moderne que des centaines de Syriens ont choisi de travailler.

Selon nos informations, il y a plus de 350 employés syriens dans les deux usines québécoises.

Tout a commencé en 2017 quand Philippe Gagnon a dû recruter 500 employés pour la première usine québécoise, située à Boisbriand. Le jeune directeur d’usine s’est vite rendu compte que les canaux habituels comme Emploi Québec allaient lui donner du fil à retordre. Au cours de ses recherches, il a eu la chance de rencontrer Lina Massaad, une Syrienne qui maîtrisait la langue de Molière avec finesse. Professeure de français en Syrie, la dame de 59 ans lui a prêté main-forte. Elle organise maintenant les cours de francisation au sein de l’entreprise.

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Philippe Gagnon, directeur des deux usines Canada Goose au Québec

M. Gagnon l’a engagée comme opératrice de machine à coudre et l’a aidée au recrutement. Elle a mis des annonces sur la page Facebook Syrian Ladies of Montreal et sur celles d’églises chrétiennes. Elle a traduit des offres d’emploi en arabe et les affichait sur les babillards des supermarchés Adonis.

Julie Ayoub a vu l’une de ces annonces en arabe sur la page Syrian Ladies of Montreal.

« Les amies de ma copine travaillaient ici, raconte-t-elle en français à La Presse. Elles m’ont encouragée à postuler. Je suis bien contente de l’avoir fait, car je suis bien ici. »

Angel Gulumian connaissait aussi une amie qui travaillait à l’usine de Boisbriand. La jeune femme, qui cousait des jupes en Syrie, a commencé comme opératrice de machine à coudre et fait maintenant de la formation.

Quand je suis arrivée au Québec, je ne parlais pas un mot de français. J’ai suivi des cours de français et, ici, j’ai la chance de pratiquer tous les jours.

Angel Gulumian, qui travaille à l’usine Canada Goose de Montréal

La Syrienne apprécie la souplesse de son employeur au sujet de la conciliation travail-famille. Lorsqu’elle a demandé d’être transférée de l’usine de Boisbriand à la nouvelle usine de Montréal, la direction n’a pas hésité. « Je peux maintenant passer plus de temps avec mes enfants », se réjouit-elle.

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La nouvelle usine de Canada Goose, située rue Chabanel, à Montréal

Le secret de la rétention

Somar Jennawi est venu chez Canada Goose avec sa tante pour lui servir d’interprète lors d’une entrevue d’embauche. Ingénieur électronique chez Sony en Syrie pendant plus de 10 ans, l’homme de 43 ans n’aurait jamais cru qu’il ferait un jour de la couture.

« Le directeur de l’usine n’avait pas d’autre poste pour moi, relate-t-il. Après une journée, je suis retourné le voir pour lui dire que ce n’était pas mon métier. J’ai insisté, et il a accepté de me mettre dans l’équipe de maintenance le deuxième jour. J’étais soulagé. Après trois mois, je suis devenu mécanicien. »

Si Somar Jennawi reste employé du fabricant de manteaux de luxe, ce n’est pas que pour le salaire et les avantages sociaux, insiste-t-il. « J’aime les relations humaines entre la direction et les employés. Philippe Gagnon nous salue, il nous respecte, il est toujours souriant. »

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La nouvelle usine de Canada Goose, située rue Chabanel, à Montréal

Somar Jennawi est aussi fier d’avoir participé à la création de la nouvelle usine de la rue Chabanel, à Montréal. « Tout ce que tu vois dans la salle, c’est moi qui l’ai installé. Je sais où est chacune des vis », dit-il à la blague.

Jean Tawil, de son côté, apprécie le rituel hebdomadaire durant lequel on remet une étoile dorée à l’employé de la semaine. « Tout le monde l’applaudit, explique celui qui occupe le poste d’assistant superviseur. Ça le valorise. On reconnaît ses efforts. Ça lui donne de l’énergie. »

L’homme de 38 ans a eu l’idée de postuler chez Canada Goose en raison d’une affiche qu’il a vue à l’église. Il a tellement aimé son environnement de travail qu’il a incité sa femme et sa belle-mère à se joindre à l’équipe.

Du climat aride aux manteaux d’hiver

La Presse s’est entretenue avec quatre employés syriens des usines Canada Goose québécoises. 

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Angel Gulumian

Angel Gulumian

32 ans Ville d’origine : Damas Nombre d’années au Canada : 2 ans Employée de Canada Goose depuis 11 mois Postes occupés : opératrice de machine à coudre, maintenant formatrice

« Je suis syrienne d’origine arménienne. Je suis arrivée au Canada avec mon mari et mes enfants. On cherchait la paix, la sécurité et la tranquillité. Les enfants étaient terrifiés là-bas. Ils ont dû arrêter l’école. Une bombe est tombée sur l’école, et les amis de mon fils sont morts. L’auto de mon mari a aussi explosé. Il n’y avait personne à l’intérieur. »

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Jean Tawil

Jean Tawil

38 ans Ville d’origine : Alep Nombre d’années au Canada : 2 ans Employé de Canada Goose depuis 11 mois Poste occupé : aide-superviseur

« Mon oncle habitait à Montréal. Chaque fois qu’il revenait en Syrie, il vantait les mérites de la métropole. La première fois que j’ai vu la neige, c’était bien. J’ai attendu plusieurs jours, mais elle ne partait pas », s’exclame-t-il en riant.

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Julie Ayoub

Julie Ayoub

40 ans Ville d’origine : Damas Nombre d’années au Canada : trois ans et demi Employée de Canada Goose depuis 11 mois Poste occupé : opératrice de machine à coudre

« Je suis arrivée le 29 décembre 2015 avec mon mari, mon fils et ma fille. Mon mari avait un restaurant en Syrie. J’ai suivi des cours de français et le cours Comment partir son entreprise. En 2017, nous avons acheté un food truck. On a vendu des gaufres une année, mais l’année suivante, ça n’a pas marché. On a dû changer de travail. »

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Somar Jennawi

Somar Jennawi

43 ans Ville d’origine : Damas Nombre d’années au Canada : trois ans et demi Employé de Canada Goose depuis 13 mois Postes occupés : opérateur de machine à coudre, assistant mécanique et maintenant mécanicien

« Quand on a décidé de changer notre vie, ma femme, mon fils et moi, on a choisi le Canada, parce que le marché du travail canadien offrait des emplois à des immigrants sans formation, mais aussi aux immigrants diplômés. Je voulais un travail près de mes études. J’ai étudié cinq ans en génie électronique. »