(Montréal) Confrontée à des défis opérationnels et des déboires judiciaires qui ont fait plonger le cours de son action au cours de la dernière année, SNC-Lavalin a un nouveau patron, ce qui, selon des analystes, pourrait accélérer certains changements.

En raison de la retraite de Neil Bruce, Ian Edwards, un Britannique de 56 ans qui était chef de l’exploitation depuis janvier, a été nommé mardi président et chef de la direction de façon intérimaire, avec le mandat de mettre en place une stratégie visant à diminuer les risques, simplifier le modèle d’affaires et « générer des revenus et flux de trésorerie constants ».

Selon plusieurs analystes, cette décision pourrait, pour SNC-Lavalin, rendre plus séduisante l’idée de se départir de la division de la construction afin de se tourner davantage vers l’ingénierie et la conception.

« Nous croyons que cela fera grimper les chances que l’entreprise décide d’explorer ses options pour ses activités de construction ainsi que celles dans le secteur des ressources afin de générer de la valeur et de se repositionner purement comme une firme de génie-conseil », a estimé Derek Spronck, de RBC Marchés des capitaux.

Après avoir touché des creux successifs de 10 ans depuis la fin janvier à la Bourse de Toronto, le titre de SNC-Lavalin a pris 1,65 $, ou 6,96 %, clôturant à 25,35 $.

À l’instar d’autres collègues, Yuri Lynk, de Canaccord Genuity, croit que le chemin menant à la rentabilité passe par les services d’ingénierie de SNC-Lavalin, qui représentent près de 75 % de ses revenus.

Dans une note, l’analyste a expliqué que cela devrait être accompagné d’une diminution, ou même la fin, de la présence de la compagnie dans le secteur de la construction et de la gestion de projet, un secteur en proie à des dépassements de coûts et à des contrats à prix fixe.

« Un changement au sommet pourrait susciter un changement stratégique indispensable », a estimé M. Lynk.

Pour sa part, Maxim Sytchev, de la Financière Banque Nationale, a souligné que le mandat confié à M. Edwards constitue une « lueur d’espoir », ajoutant qu’il était logique que la société se concentre davantage dans le génie-conseil et le secteur nucléaire.

Dans une note envoyée à ses clients, l’analyste a estimé que SNC-Lavalin devrait considérer un retrait de la bourse si elle ne peut pas réaliser son virage par elle-même.

Un mandat tumultueux

Après presque quatre années à la tête de SNC-Lavalin, M. Bruce retournera auprès de sa famille au Royaume-Uni, a fait savoir la société. L’Écossais de 58 ans continuera de conseiller le conseil d’administration jusqu’à la fin de l’année. MM. Bruce et Edwards n’étaient pas disponibles mardi pour accorder des entrevues.

Selon la plus récente circulaire de sollicitation de l’entreprise, M. Bruce était admissible à une indemnité de départ de 14 millions en cas de « cessation d’emploi sans motif valable ». L’entreprise n’a pas voulu dire si ce dernier allait recevoir cette somme.

En poste depuis octobre 2015, M. Bruce a notamment réalisé la plus importante acquisition de la société avec l’achat de la britannique WS Atkins, en 2017, et a permis de gonfler le carnet de commandes à plus de 15 milliards.

Néanmoins, il n’a pas été en mesure de tourner la page sur le passé trouble de SNC-Lavalin, qui a continué d’être hantée par des accusations de fraude et de corruption déposées à son endroit pour des gestes qui auraient été posés en Libye avant l’arrivée de M. Bruce.

L’entreprise est également au cœur d’une tempête politique qui continue d’ébranler le gouvernement Trudeau en raison de pressions indues qui auraient été effectuées auprès de l’ex-procureure Jody Wilson-Raybould afin qu’elle négocie une entente à l’amiable avec la compagnie pour lui éviter un procès criminel.

M. Bruce était également aux commandes quand la société a abaissé ses prévisions de bénéfices à deux reprises en trois semaines plus tôt cette année en plus de cesser de soumissionner sur des projets miniers. SNC-Lavalin souffre également de la détérioration des relations diplomatiques entre le Canada et l’Arabie saoudite, l’un de ses principaux marchés de son secteur pétrolier et gazier.

De plus, le mois dernier, la firme avait dévoilé un plan visant à réduire son empreinte dans 15 pays en plus d’afficher une perte de 17 millions au premier trimestre.

« Malgré toutes les bonnes choses que M. Bruce a réalisées chez SNC-Lavalin depuis son arrivée en 2013, ces problèmes d’exécution étaient néanmoins présents lorsqu’il était en poste, a souligné M. Lynk. En ce qui a trait au changement (à la présidence), cela était écrit dans le ciel en… janvier 2019 quand M. Edwards a été nommé chef de l’exploitation. »

La nomination de M. Edwards avait été effectuée alors que la firme avait dévoilé des dépassements de coûts de l’ordre de 350 millions liés à un projet avec une société d’État chilienne spécialisée dans l’exploitation de cuivre. Codelco a depuis mis fin à son entente avec SNC-Lavalin.

Au cours des 60 prochains jours, M. Edwards devra rencontrer les principaux actionnaires de la firme, comme la Caisse de dépôt et placement du Québec, qui détient une participation d’environ 16 %, ainsi que la Banque Royale du Canada.

Un porte-parole du bas de laine des Québécois, Maxime Chagnon, n’a pas voulu commenter le changement au sein de la direction de la société.

Bataille judiciaire

Entre-temps, le 29 mai, SNC-Lavalin a été citée à procès concernant deux chefs d’accusation pour des gestes qui auraient été posés en Libye. La firme d’ingénierie a plaidé non coupable. Le dossier doit revenir devant le tribunal le 28 juin.

Le premier ministre Justin Trudeau a fait valoir qu’un procès criminel pourrait pousser la firme vers les États-Unis, provoquant du même coup la perte de milliers d’emplois — un scénario qui figurait dans un document interne de SNC-Lavalin obtenu par La Presse canadienne.

L’automne dernier, la compagnie avait prévenu les procureurs fédéraux de ce qui pourrait survenir en l’absence d’un accord de réparation. La firme évoquait, dans le document, la possibilité de déménager son siège social montréalais et ses bureaux d’entreprises situés en Ontario et au Québec, ramenant ainsi son effectif de 8717 à 3500 personnes, avant d’éventuellement mettre fin à ses activités au Canada.