Les carnivores ne sont pas les bienvenus chez WeWork, le mastodonte des espaces de travail partagés qui occupe trois étages à la Place Ville Marie et à L'Avenue, à Montréal. Il y a deux semaines, la direction de l'entreprise a fait savoir que la viande n'était plus au menu et qu'elle ne rembourserait pas les employés qui commanderaient un burger lors d'un repas d'affaires. Une politique inédite qui fait réagir.

RAISONS IDÉOLOGIQUES

Dans une note interne acheminée à La Presse, le cofondateur et chef de la culture de la jeune entreprise, Miguel McKelvey, a déclaré que la décision de faire de WeWork « une entreprise sans viande » était motivée par la volonté de préserver l'environnement et, dans une moindre mesure, d'assurer le bien-être des animaux. « De nouvelles recherches indiquent que la non-consommation de viande est une des choses les plus importantes qu'un individu puisse faire pour réduire son impact sur l'environnement - plus encore que de passer à une voiture hybride », dit-il.

GÉANT DU COTRAVAIL

Le géant new-yorkais des espaces de travail partagés est établi à Montréal depuis deux ans. Il propose des postes de travail, des bureaux et des salles de conférence dans des lieux ultraconviviaux, avec café, eau fruitée et bière à volonté. « Une des choses qui m'inspirent le plus dans WeWork est notre capacité à effectuer des changements positifs. Notre équipe, réunie, a un pouvoir illimité permettant de résoudre n'importe quel problème. C'est la Puissance du Nous [Power of We] », ajoute M. McKelvey, qui estime que l'élimination de la viande rouge, du porc et de la volaille dans les événements de WeWork pourrait sauver 15 millions d'animaux d'ici 2023.

CHANGEMENTS CLIMATIQUES

« Ça surprend parce qu'on n'est pas habitués, mais ça illustre l'évolution de la société », croit Élise Desaulniers, directrice générale de la SPCA de Montréal. « Les entreprises voient qu'elles ont un rôle à jouer dans la lutte contre les changements climatiques. » Tout comme WeWork, la SPCA refuse de payer pour des produits d'origine animale quand elle organise des cocktails ou offre des repas à ses employés. « On est là pour protéger les animaux », explique Mme Desaulniers.

PLASTIQUE ET CUIR

WeWork compte près de 6000 employés dans le monde et plus de 250 000 membres. Sa valeur est estimée à 20 milliards de dollars. En plus d'éliminer la viande, elle s'est engagée à faire disparaître progressivement le plastique à usage unique d'ici à la fin de l'année, et les meubles en cuir en 2019. Les équipes de Montréal organisent déjà des événements 100 % sans plastique. Mais la politique végétarienne, qui a aussi pour but d'encourager de nouvelles pratiques, n'a pas que des partisans. Comment réagissent les salariés ? WeWork refuse « poliment » de commenter la situation.

LUNDIS SANS VIANDE

« C'est impensable d'imposer des habitudes de vie à des employés », affirme Marie Marquis, professeure titulaire au département de nutrition de l'Université de Montréal. « Quand on vient toucher aux comportements alimentaires, c'est explosif, surtout chez les adultes, qui crient rapidement à la liberté de choix. » Mme Marquis donne l'exemple des Lundis sans viande, qui font de nombreux mécontents dans les cafétérias du milieu universitaire.

RÉGIME TOTALITAIRE

Fait à signaler : les employés peuvent continuer à apporter des lunchs avec de la viande ou commander un plat à base de boeuf ou de poulet au restaurant. Mais WeWork souhaite de toute évidence les pousser à adopter un régime végétarien. « Des gens vont s'élever contre ça », prévient Guylaine Ferland, également professeure titulaire au département de nutrition de l'Université de Montréal. « On n'est pas dans un régime totalitaire pour se faire dicter notre conduite, se faire dire de manger ceci ou cela. »

CULTURE D'ENTREPRISE

Olivier Berthiaume, cofondateur de l'entreprise montréalaise de bureaux partagés Halte 24-7, abonde dans le même sens. Pas question pour lui de dire adieu à la viande. « C'est la première fois que j'entends parler d'une entreprise qui impose ça à ses employés, souligne-t-il. Ce n'est pas ma réalité, encore moins ma culture d'entreprise. Je trouve que c'est poussé. Moi, je préconise l'ouverture d'esprit. »

QUESTION DE CHOIX

Même réaction du côté de Temps libre, une coopérative de travail partagé dans le Mile End. « Chacun fait comme il veut, dit Caroline Makosza, directrice générale. Ici, ce sont les membres qui prennent les décisions. Je les vois mal adopter une telle politique. Je pense qu'on a le droit de cohabiter sans imposer nos choix aux autres. Quand on veut changer le monde, ça prend le choix des individus. Je comprends l'idée, mais ce n'est vraiment pas d'actualité ici. Cela a toutefois le mérite de lancer le sujet. »

FAUSSE ROUTE

Jean-Claude Moubarac, professeur adjoint au département de nutrition de l'Université de Montréal, estime pour sa part qu'il est important d'avoir une réflexion sur la façon dont on produit, transforme et consomme la viande. « Le poids sur l'environnement est intolérable », dit-il. Toutefois, le problème n'est pas la viande, mais les modes de production. « Bannir la viande ne tient pas compte des aspects culturels et de santé. Pour sauver la planète, on doit développer des systèmes alimentaires sains, durables et équitables. » Pas imposer le végétarisme. « Ce n'est pas défendable sur le plan scientifique », assure-t-il.

Photo Patrick Sanfaçon, Archives La Presse

WeWork fournit des bureaux modernes, l'accès à l'internet, l'entretien ménager, une réception qui accueille les visiteurs, la prise en charge du courrier, de nombreuses activités et un accès à l'édifice 24 heures sur 24, sept jours sur sept.

Photo Ivanoh Demers, Archives La Presse

Marie Marquis, professeure titulaire au département de nutrition de l'Université de Montréal

Qu'est-ce que WeWork ?

Numéro un de la location d'espaces de travail partagés, WeWork a été fondée à New York en 2010 par Adam Neumann et Miguel McKelvey. L'entreprise propose des bureaux dans une vingtaine de pays, dont les États-Unis, le Canada, le Mexique, la France, le Royaume-Uni, la Chine, le Japon et l'Australie. Elle fournit des bureaux modernes et « cool », l'accès à l'internet, l'entretien ménager, une réception qui accueille les visiteurs, la prise en charge du courrier, de nombreuses activités et un accès à l'édifice 24 heures sur 24, sept jours sur sept. À Montréal, le coût de location est de 275 $ par mois pour un poste de travail non attribué, de 420 $ pour un poste attribué et de 650 $ à 690 $ pour un bureau privé pour une personne. À New York, le poste de travail non attribué est offert à 500 $ par mois et le bureau privé, à 1890 $. Cours de yoga compris.