La fin de la production de l'A380 est un crève-coeur pour les amoureux des beaux avions, mais cette décision stratégique permet à Airbus de se défaire d'un programme sans perspective et de se repositionner sur des segments plus lucratifs, selon les experts.

Pourquoi Airbus a-t-il pris la décision d'arrêter la production de l'A380 ?

Le marché n'était tout simplement plus là, relève Stéphane Albernhe, du cabinet Archery Consulting. « Les annonces de reconfiguration de commandes de [la compagnie du Golfe] Emirates et d'annulation de commandes de Qantas, le risque de futures annulations de commandes notamment par des loueurs d'avions, ainsi que la pression mise par IAG (maison-mère de British Airways) sur les prix n'ont fait qu'accélérer cette prise de décision. »

« Il n'y a donc pas de surprise, même si le regret est grand, car cet avion a non seulement été précurseur en termes de ruptures de concept et de technologies, mais il a également véritablement révolutionné l'expérience passager. »

L'A380 est une prouesse technologique et un avion plébiscité par les passagers. Pourquoi a-t-il échoué sur le plan commercial ?

« L'A380 reste populaire auprès des passagers, mais les véritables clients de l'appareil restent bien entendu les compagnies aériennes », souligne Sebastian Zank, de l'agence d'analyse de marchés Scope Ratings. Selon lui, de mauvaises évaluations, avec la surestimation de la demande pour les long-courriers de grande capacité, et un mauvais timing sur les prix élevés du pétrole, ont exacerbé l'équation économique des quadriréacteurs. « Airbus a eu du mal à trouver des acheteurs au-delà des compagnies de lancement », note-t-il.

Au-delà du symbole, l'arrêt de la production va-t-elle peser sur Airbus ?

Cette décision « ne devrait pas déstabiliser Airbus pour plusieurs raisons », analyse Stéphane Albernhe. « D'abord parce que factuellement, en nombre d'unités, l'A380 ne représentait en 2018, que 0,5 % des prises de commandes, 1 % du carnet de commandes nettes en fin d'année et 1,5 % des livraisons ».

De plus, poursuit-il, « l'A380 occasionnait régulièrement des dépenses additionnelles en ingénierie et en production pour assurer sa "personnalisation" et son amélioration. Ces dépenses ne seront donc plus à supporter par Airbus ». Enfin, « l'ensemble de l'écosystème était préparé à cette décision. »

Le programme A380 a coûté 18 milliards de dollars à Airbus. Il a commencé à gagner de l'argent sur chaque appareil livré en 2015 mais le programme a replongé dans le rouge en 2018.

Airbus a envisagé une version « neo » de l'A380, re-motorisée à l'instar de son moyen-courrier vedette l'A320 afin de réduire les coûts d'exploitation. Mais hormis Emirates, les compagnies ne se sont pas montrées intéressées. Les coûts de tels développements sont estimés par les experts entre 2 et 3 milliards d'euros. Des discussions ont eu lieu entre Airbus, Emirates et le motoriste Rolls-Royce, mais elles n'ont pas abouti.

Airbus a-t-il les reins assez solides pour encaisser cette décision ?

« Au-delà de l'A380, Airbus a beaucoup d'atouts pour maintenir sa position sur le marché de l'aviation commerciale de plus de 100 places », assure Stéphane Albernhe. « Il peut compter sur un carnet de commandes nettes à fin 2018 de 7525 avions, qui représente aux cadences actuelles environ 9 années de production, ce qui est remarquable. »

« Airbus peut également compter sur le "blockbuster" que constitue la famille A320, avec en nombre d'unités en 2018, 72 % des prises de commandes, 80 % du carnet de commandes nettes en fin d'année et 78 % des livraisons, poursuit-il. Enfin, Airbus a très bien réussi le positionnement, le développement et l'industrialisation de l'A350, qui est un avion correspondant pleinement aux attentes du marché sur son segment et qui devrait rencontrer un beau succès commercial ».

L'A350 est un long-courrier de nouvelle génération, biréacteur et construit à plus de 50 % en matériaux composites, ce qui allège sa structure et lui permet de diminuer sa consommation. Plus facile à remplir, il permet de couvrir de très longues distances, y compris sur des liaisons secondaires qui ne seraient pas rentables avec un appareil plus ancien.