Les premières modifications aux règlements sur la fatigue des pilotes aériens en 22 ans, annoncées la semaine dernière par le ministre fédéral des Transports Marc Garneau, ne satisfont pas plusieurs pilotes, qui les jugent encore insuffisantes.

Transports Canada a dévoilé vendredi dernier une série de nouvelles mesures visant essentiellement à limiter le nombre d'heures pilotées et à augmenter les heures de repos des pilotes. Le Canada était jusque-là reconnu comme un cancre en la matière, chose que le gouvernement lui-même avait admise dans son projet de règlement, déposé en juillet 2017.

Le processus a été long. Un groupe de travail sur la gestion de la fatigue avait été mis en branle en septembre 2010. Le rapport de celui-ci a été soumis en 2012. Deux ans plus tard, Ottawa déposait un « avis de proposition de modification », qui a lancé le processus achevé la semaine dernière.

« Il y avait eu de petites modifications en 1996, mais rien depuis, on était vraiment [mûrs pour ça] », affirme le commandant Daniel Cadieux, pilote et président du comité de la sécurité de vol à l'Association des pilotes d'Air Canada.

DÉCEPTION

Selon M. Cadieux, ses collègues sont « très déçus » des règles adoptées par Transports Canada. « Ils n'ont toujours pas respecté ni la proposition du groupe de travail de 2012 ni les études publiées par la NASA », dit-il.

« Le problème, c'est vraiment le vol de nuit. Le Canada va permettre d'aller jusqu'à 10 heures 30 minutes de vol pour un équipage "non augmenté", alors que la NASA recommande 8 heures 30 minutes. » - Daniel Cadieux, pilote et président du comité de la sécurité de vol à l'Association des pilotes d'Air Canada

Un équipage « augmenté » compte trois pilotes, plutôt que deux, de façon à permettre des périodes de repos. L'Europe limite le temps de vol de nuit à 9 heures 30 minutes pour une équipe de deux, tandis que les États-Unis ont placé la barre à 8 heures.

« Le gouvernement nous dit qu'il a respecté la science, mais ce n'est pas tout à fait exact, déplore M. Cadieux. Il en a utilisé une partie, mais pas 100 %. »

Pour Jean Lapointe, pilote d'Air Canada fraîchement retraité, il est évident que les règles canadiennes souffraient d'un retard par rapport à celles d'autres pays.

« On s'est toujours demandé si nos pilotes canadiens étaient des surhommes pour avoir ainsi le droit de travailler plus longtemps. Je suis déçu qu'on ne se soit pas approché de ce que d'autres gouvernements exigent. » - Jean Lapointe, pilote d'Air Canada à la retraite

« Je m'attendais à plus de courage du ministre. La science, elle est là », poursuit-il.

DÉPENSES ET ÉCONOMIES

Selon Transports Canada, les nouvelles règles coûteront 397,32 millions de dollars sur 20 ans aux transporteurs aériens. Elles leur feraient en contrepartie économiser 409,38 millions grâce à la réduction du nombre d'accidents, pour un avantage net de 11,65 millions.

Il y a d'autres avantages, fait valoir M. Lapointe, en se basant sur son expérience personnelle.

« Au cours des 15 dernières années, pendant lesquelles j'ai effectué environ 80 % de vols transatlantiques, si j'avais pu compter sur un troisième pilote, j'aurais pu me rendre plus loin dans ma carrière, parce que mon réservoir d'énergie n'aurait pas été épuisé. À un moment où l'on cherche partout des pilotes d'expérience, ce n'est pas à négliger. »

L'autre grand syndicat de pilotes canadiens, l'Air Line Pilots Association (ALPA), qui représente notamment les pilotes de WestJet, d'Air Transat et de Jazz, n'était pas disponible pour commenter la nouvelle réglementation.

« Nous avons travaillé de façon diligente pour obtenir de nouvelles règles d'heures de vol et de service basées sur la science, a déclaré son président dans un communiqué. Ce fut pendant des années l'un des principaux problèmes liés à la sécurité aérienne au Canada. Bien que les nouvelles règles n'effacent pas toutes nos inquiétudes et ne suivent pas toutes nos recommandations, elles marquent une nette amélioration et vont améliorer la sécurité. »