« Extrêmement déçue » de la décision de VIA Rail de lui préférer Siemens, Bombardier déplore que la société de la Couronne ait refusé à deux occasions de considérer des offres révisées de sa part, dont l'une était accompagnée d'une lettre d'appui du gouvernement québécois.

VIA Rail a confirmé hier midi qu'elle avait sélectionné la multinationale Siemens et signé un contrat avec elle dans le cadre de son appel d'offres pour l'acquisition de 32 nouveaux trains desservant le corridor Québec-Windsor.

Le contrat est évalué à 989 millions de dollars. S'y ajoute une deuxième entente de 23,7 millions pour la fourniture de services et de pièces de rechange, ainsi que des options pour des trains supplémentaires, au même prix unitaire.

« Il nous apparaît inconcevable que l'appel d'offres pour un train qui passera dans deux capitales nationales n'ait pas fait l'objet de mesures visant à assurer un maximum de retombées locales et l'utilisation de haute technologie canadienne, dans le respect des obligations internationales du Canada », a fougueusement réagi Bombardier dans un communiqué.

Selon son porte-parole Éric Prud'homme, Bombardier Transport a tenté par deux fois de bonifier son offre dans l'espoir de gagner la mise, sans obtenir l'oreille de VIA Rail.

« C'est un processus assez courant que de soumettre une offre, puis d'aiguiser son crayon ensuite », a fait valoir M. Prud'homme, en indiquant que ces efforts additionnels n'avaient pas été présentés « à minuit moins cinq ».

« N'importe qui, que ce soit moi ou vous, qui a en tête un fournisseur pour des travaux et qui reçoit un message d'un autre fournisseur offrant un meilleur prix, on va prendre le téléphone et essayer d'en avoir plus pour notre argent. » - Éric Prud'homme, porte-parole de Bombardier Transport

Bombardier n'admet pas les arguments liés aux accords de libre-échange, selon M. Prud'homme.

« Quand on dit que le Canada a signé des accords de libre-échange et qu'il en tire aussi des bénéfices, je ne sais pas où sont les bénéfices. Quand nous remportons des contrats en Europe, ils ne sont pas faits à Plattsburgh ou à La Pocatière, ils sont faits là-bas. Sacramento, ce n'est pas le Canada. Les États-Unis vont faire passer de 65 à 70 %, à la fin 2020, l'obligation de contenu local liée au Buy America. Trouvez un train non allemand en Allemagne, ou un train non français en France, bonne chance. Les chiffres parlent. »

QUÉBEC TRÈS DÉÇU

À Québec, le ministre de l'Économie, Pierre Fitzgibbon, signataire de la lettre jointe à la dernière offre de Bombardier, s'est dit « très, très, très déçu ».

Tout en reconnaissant les obligations liées aux traités de libre-échange, M. Fitzgibbon considère qu'il y a « différents moyens de faire une omelette, on aurait pu avoir des critères qui auraient favorisé les compagnies canadiennes ou québécoises ».

M. Fitzgibbon souhaite faire un bilan de l'opération et doit rencontrer le président et chef de la direction de VIA Rail, Yves Desjardins-Siciliano, après les Fêtes.

OFFRE IMPRÉCISE

Bombardier refuse toutefois de préciser quelle était exactement sa meilleure offre. M. Prud'homme n'a pas voulu indiquer, hier, si elle était inférieure ou supérieure au prix de Siemens, qui est maintenant public. Il s'est plutôt contenté de faire référence à une offre « compétitive » et à mettre en valeur les retombées locales qu'elle aurait eues.

Impossible aussi de savoir quel modèle de trains proposait Bombardier, ou l'endroit où ils auraient été construits.

« Il y avait du contenu local pour l'ingénierie, du côté de nos bureaux de Saint-Bruno, et pour la fabrication, à La Pocatière, dans la majorité du possible dans le cadre d'un appel d'offres qui ne reconnaissait aucunement le contenu local. » - Éric Prud'homme, porte-parole de Bombardier Transport, sans préciser quelle proportion ce contenu aurait pu atteindre

UN TRIPLÉ POUR SIEMENS

Lors de son annonce d'hier, VIA Rail a précisé, par la bouche de M. Desjardins-Siciliano, que l'offre de Siemens l'avait emporté « de façon significative » pour chacun des trois principaux critères édictés. Il a mentionné, dans l'ordre, la capacité de livrer à temps, la qualité et le prix.

Siemens produit déjà à Sacramento des trains identiques à ceux qui seront vendus à VIA Rail. Seul l'aménagement intérieur sera propre à VIA Rail, selon M. Desjardins-Siciliano.

Tant dans ses communiqués que dans l'allocution de son président, hier, VIA Rail a mis beaucoup d'accent sur l'importance des délais de livraison. L'entreprise devra commencer à retirer certains de ses équipements de la circulation dès l'an prochain et fait aussi face à une forte croissance de la demande pour ses services, explique-t-on.

Les premiers trains doivent entrer en fonction en 2022, les derniers en 2024.

Interrogé sur le sujet, M. Desjardins-Siciliano a toutefois refusé de faire un lien entre ce fait et les retards qui ont marqué certains projets récents de Bombardier en Amérique du Nord.

POSSIBILITÉS AU CANADA

Selon Siemens, environ 20 % de la valeur totale des deux contrats pourrait revenir à des entreprises canadiennes, par l'entremise de la sous-traitance. Pour obtenir ces sommes, elles devront toutefois lutter à armes égales contre des entreprises de partout dans le monde dans le cadre d'appels d'offres. Aucun pourcentage ne leur est garanti.

Selon Michael Cahill, président de la division nord-américaine du matériel ferroviaire pour Siemens, les trains actuellement produits à Sacramento ont déjà une part de contenu canadien. Il n'a toutefois pas été en mesure d'en évaluer la proportion.

Siemens s'est néanmoins engagée à ouvrir des bureaux à Montréal et à Toronto voués spécifiquement à la recherche de sous-traitants.

Outre Bombardier et Siemens, l'espagnole Talgo a aussi participé au processus. Le contrat accordé hier comporte aussi des options pour l'achat de trains supplémentaires, au même prix unitaire. VIA Rail juge qu'elle pourrait en commander 16 autres si le gouvernement canadien approuvait l'an prochain son projet de train à grande fréquence.

- Avec Martin Croteau, La Presse