Après les licenciements massifs de Bombardier et la fermeture de l'usine de General Motors à Oshawa, un autre nuage menace le secteur industriel au pays. VIA Rail s'apprête à annoncer que le contrat de 1 milliard de dollars pour le renouvellement de son parc du corridor Québec-Windsor sera accordé à la multinationale allemande Siemens.

En vertu du traité de libre-échange avec la communauté économique européenne et du libre-échange avec les États-Unis, VIA, une société de la Couronne, ne peut pas exiger un niveau de «contenu canadien» pour ce contrat. Siemens a coiffé Bombardier à la ligne d'arrivée, et est en train de négocier les termes de son contrat avec le transporteur.

La firme québécoise comptait utiliser La Pocatière pour la construction des 32 trains; l'ingénierie aurait été réalisée à Saint-Bruno, lieu du siège social de sa division Transports pour les Amériques. Mais sur papier, Bombardier est restée prudente sur ces engagements de contenu intérieur, consciente d'être en concurrence avec des firmes qui n'auraient pas à tenir compte d'une telle contrainte.

Inacceptable, selon Québec

Conscient de l'impact négatif de cette annonce «imminente», le cabinet de François Legault a multiplié, au cours des derniers jours, les pressions auprès du cabinet de Justin Trudeau pour que VIA revoie son processus de décision. 

«Dans un contexte où les Européens et les Américains ne se gênent pas pour protéger leur contenu local, on juge que cette décision serait un très mauvais signal», laisse-t-on tomber chez François Legault. 

Dans un contexte où Bombardier et General Motors annoncent chacun de leur côté 2500 licenciements, donner un contrat aussi gigantesque sans retombées au pays est carrément inacceptable, résume-t-on.

À Québec, on espère qu'on utilisera un autre test, permettant aux soumissionnaires de procéder à «leur meilleure dernière offre», avant de privilégier Siemens. Bombardier a fini deuxième derrière Siemens. Le troisième soumissionnaire était l'espagnole Talgo Inc. L'appel d'offres de VIA a été lancé il y a près d'un an, «à l'époque où il y avait moins de sensibilité politique» quant aux retombées locales, poursuit-on à Québec. Pour Québec, un tel contrat devrait comporter un minimum de 25% de contenu canadien. François Legault compte bien soulever la question lors de la rencontre avec Justin Trudeau, les 6 et 7 décembre, à Montréal.

Faits en Californie

Siemens manufacturerait les trains de son usine de Sacramento, en Californie. L'ingénierie serait faite en Allemagne. Hier à VIA, la conseillère principale, relations médias Mariam Diaby a refusé de confirmer que le choix s'était porté sur Siemens, mais a souligné que l'on visait encore une annonce avant les Fêtes. Aucune exigence quant au contenu canadien n'est prévue à l'appel de soumissions publiques, lancé en avril 2018.

Des sources chez VIA expliquent aussi que tout a été mis en place pour que le processus soit le plus rigoureux possible : un «fairness monitor [observateur indépendant] et des consultants techniques ont été mis à contribution, et Transports Canada a suivi de très près le cheminement de ce dossier», assure-t-on.

Chez Bombardier, le porte-parole Eric Prud'Homme refuse tout commentaire sur ce dossier précis. Mais il rappelle que l'environnement commercial au Canada pose aux sociétés québécoises et canadiennes un «défi supplémentaire». Bombardier ne peut mettre à profit sa présence au Québec, ses employés et ses installations. 

«Chez nos voisins américains, la dynamique est totalement différente : les investissements locaux sont reconnus par les décideurs.»

Les nouvelles rames de VIA doivent être en service dès 2022, un échéancier assez serré. En coulisses, chez Bombardier, on explique qu'un tel mandat constitue une vitrine importante pour d'autres contrats en Amérique du Nord.

Bombardier a eu une bonne nouvelle il y a quelques jours - un contrat de 500 millions pour le renouvellement, par des voitures Azur, des anciennes rames du métro de Montréal datant des années 70. Mais exo, le remplaçant de l'Agence métropolitaine de transport (AMT), a choisi une firme chinoise pour remplacer 14 trains récemment - l'obligation de contenu local avait été, pour eux, baissée de 25 à 15%. Sans parler du contrat du Réseau express métropolitain, passé à Alstom l'an dernier, un autre mandat de plus de 1 milliard - Alstom et Bombardier proposaient toutes deux de construire les rames à l'étranger, l'un en Inde, l'autre en Chine. La Caisse de dépôt aurait pu exiger une proportion de contenu canadien, mais ne l'a pas fait, optant pour le meilleur prix.

Pour VIA, les fonds pour ce renouvellement avaient été accordés par le gouvernement Trudeau dans le budget du printemps 2018. Dans son appel d'offres, VIA précisait souhaiter 9100 sièges-passagers répartis dans 32 rames «bidirectionnelles», pouvant être utilisées dans les deux sens. Les rames actuelles remontent à plus de 60 ans. Les moteurs des locomotives devront consommer moins de diesel et être compatibles avec une voie électrifiée dès qu'elle sera mise en place.