L'industrie spatiale québécoise a connu un passage à vide, mais elle reprend peu à peu son essor, propulsée par la division de Sainte-Anne-de-Bellevue de MDA, spécialisée dans les satellites. Comme le reste du secteur spatial canadien, l'industrie québécoise attend avec impatience de voir le sort que lui réserve le budget fédéral de jeudi.

Tout le travail de conception est fait, il ne reste plus qu'à commencer la fabrication des trois satellites de télédétection qui formeront la Constellation Radarsat.

Cela représente des millions de dollars de travaux à la division de Sainte-Anne-de-Bellevue de MacDonald, Dettwiller and Associates (MDA), qui sera responsable de la charge utile de chacun des satellites, notamment le radar et les antennes de télécommunications.

Mais voilà, le gouvernement conservateur n'a pas encore approuvé la phase de fabrication. Comme le financement fédéral lié à la phase de conception de la constellation touche à sa fin, MDA n'aura peut-être pas les fonds nécessaires pour conserver les effectifs impliqués dans le projet.

«Ça aurait un impact majeur à nos installations de Montréal», a indiqué à La Presse Affaires la responsable des communications de MDA, Wendy Keyzer.

Dans une récente conférence téléphonique, le président et chef de la direction de MDA, Daniel Friedmann, a expliqué qu'à l'origine, la phase de fabrication devait débuter en janvier 2012. Le gouvernement fédéral a toutefois retardé l'approbation de cette phase et la question devrait se retrouver dans le budget du 29 mars prochain.

«Si les choses vont de l'avant dans le budget, il y aura un certain délai avant l'attribution du contrat, compte tenu des mesures de précautions et des garanties liées au processus bureaucratique, a déclaré M. Friedmann. Cela pourrait aller à quelque part entre septembre et janvier. Il y a donc une brèche dans le financement. Au sein du gouvernement, on met un plan en place pour gérer une partie du problème, mais en tant qu'entreprise, nous devons prendre une décision maintenant pour prendre les mesures de restructuration nécessaires pour nous protéger, financièrement parlant.»

Le gouvernement pourrait également décider de ne pas aller de l'avant avec le projet, ou de réduire le nombre de satellites impliqués.

À venir jusqu'à maintenant, MDA a reçu 170 millions de dollars du gouvernement canadien, via l'Agence spatiale canadienne, pour la phase de conception de la constellation de satellites.

«La phase de production représente 100 millions de dollars par année pour nous et pour nos fournisseurs, a indiqué M. Friedmann. C'est un contrat majeur. Et bien sûr, nous avons les effectifs pour faire le travail parce que nous travaillons sur la phase de conception depuis deux ans.»

Il a noté qu'il était très inhabituel d'avoir un contrat scindé de cette façon, entre la conception et la fabrication.

«C'est la première fois que nous avons une telle brèche dans le financement.»

La constellation vise à compléter le système de télédétection constitué par deux premiers satellites, Radarsat-1 et de Radarsat-2. La constellation offrira une couverture plus complète du territoire canadien, ce qui devrait permettre notamment de mieux assurer la souveraineté canadienne.

Un autre projet de satellites pourrait apparaître dans le budget du 29 mars, bien qu'il y ait peu d'indices en ce sens.

La mission de télécommunications et de météorologie polaire (Polar Communication Weather, ou PWC) devrait comprendre deux satellites de communications et de météo qui couvriront le grand nord canadien 24 heures sur 24. Suivant une orbite elliptique très spécifique, les deux satellites passeront très lentement et à très haute altitude au-dessus de l'Arctique. Ils pourront ainsi fournir une image complète de l'Arctique à toutes les 15 minutes, ce qui est crucial dans une région où la météo est particulièrement changeante.

Outre son rôle de collecte de données météorologiques et climatiques, le projet PCW aurait un rôle majeur dans la transmission des communications. Le système devrait notamment permette les communications entre le sud du pays et les éventuels chasseurs F-35 en mission au-dessus de l'Arctique.

MDA espère se positionner comme maître d'oeuvre de ce projet de l'Agence spatiale canadienne. La division de Sainte-Anne-de-Bellevue jouerait un rôle majeur dans ce projet.

MDA est bien positionnée: elle a obtenu en juillet 2009 un contrat de 4,3 millions de dollars pour développer le concept de PCW.

L'agence spatiale n'a pas fait connaître le coût total du projet, mais selon les analystes, il se situerait entre 600 millions et un milliard de dollars. Il y a quelques années, on parlait d'un lancement en 2016, mais il serait maintenant question de 2017, et peut-être même de 2018.

Entretemps, la division de Sainte-Anne-de-Bellevue peut compter sur d'importants contrats remportés en Russie et en Ukraine à la fin de 2009 et sur un pipeline prometteur de nouveaux contrats, provenant également de l'étranger.

La division travaille notamment sur les répéteurs qui équipent les plus gros satellites russes jamais conçus, l'Express AM5 et l'Express AM6, un contrat de plus de 200 millions de dollars. Elle travaille aussi sur un système ukrainien comprenant un satellite et deux centres de contrôle, un contrat de 254 millions de dollars.

Ces commandes ont amené MDA à accroître la capacité de la division de Sainte-Anne-de-Bellevue, un projet qui a bénéficié d'une assistance du gouvernement du Québec et qui a respecté l'échéancier et le budget prévus, a fait savoir M. Friedmann.

MDA serait bien positionnée pour remporter de nouveaux contrats en Russie et dans d'autres pays.

«Il y a plus d'une demi-douzaine d'occasions dans le domaine des charges utiles au cours des prochains six mois, a précisé M. Friedmann. Dans certains cas, une décision pourrait être prise au cours du prochain mois. Donc, ça promet.»

Selon l'analyste Nikhil Thadani, de la Financière Banque Nationale, les agences gouvernementales de divers pays, et notamment des États-Unis, de la Russie, de l'Europe, du Japon, de la Chine et de l'Inde, devraient lancer 777 satellites au cours de la prochaine décennie.

La division de Sainte-Anne-de-Bellevue a connu une véritable traversée du désert. En 2008, après le lancement de Radarsat-2, elle ne comptait plus que 350 employés. Elle en compte maintenant 650.

D'une certaine façon, Sainte-Anne-de-Bellevue se sort mieux d'affaires que d'autres divisions de MDA. L'entreprise, basée à Richmond, en Colombie-Britannique, travaillait avec Intelsat, le plus grand exploitant de satellites commerciaux au monde, sur un projet de ravitaillement en vol de satellites. Intelsat a cependant mis fin à l'entente en janvier dernier.

La division de robotique de MDA souffre également de la réduction progressive des travaux liés au Bras canadien pour la station spatiale et de l'absence de nouveaux programmes de recherche en robotique financés par l'Agence spatiale canadienne.

La division de Sainte-Anne-de-Bellevue n'était pas impliquée dans le projet de ravitaillement en vol et dans le secteur de la robotique. Mais la direction de MDA a indiqué qu'elle pourrait également faire face à des vents contraires.

«Nous avons perdu beaucoup de terrain en robotique et nous risquons de perdre beaucoup de terrain en ce qui concerne les satellites si nous ne pouvons pas aller de l'avant avec la mise en oeuvre du projet de constellation», a déclaré M. Friedmann.