Ce n'est pas le niveau de commandes qui inquiète le plus le grand patron de Bombardier à propos de la CSeries, mais plutôt une autre question épineuse: la nouvelle famille d'avions de 100 à 149 places sera-t-elle prête à temps?

C'est ce qu'a confié Pierre Beaudoin, président et chef de la direction de la multinationale montréalaise, lors d'une récente rencontre avec des investisseurs institutionnels, à Toronto.

«Je vous dirais que pour la CSeries, ce qui m'intéresse le plus, ce ne sont pas les commandes, a-t-il déclaré. Celles-ci vont venir: nous avons un produit fantastique et les clients l'adorent. (...) Si vous me demandiez ce qui me préoccupe plus que les commandes, c'est de nous assurer que le développement respecte l'échéancier.»

M. Beaudoin a ajouté qu'à ses yeux, le retard de plusieurs mois pris par le futur jet régional CRJ1000 était «inacceptable» et que cela devait servir d'avertissement aux équipes de développement de Bombardier.

Plusieurs analystes prévoient que la CSeries ne pourra pas être mise en service avant la fin de 2013, comme le prévoit Bombardier. Boeing, dont le futur gros-porteur 787 souffre d'importants retards, a fait la même prédiction le mois dernier.

Pierre Beaudoin a toutefois fait remarquer que la CSeries se distinguait du 787 à plusieurs égards. D'abord, Bombardier s'est donné 63 mois pour développer sa nouvelle gamme d'appareils, alors que Boeing ne s'était accordé que 48 mois.

De plus, Bombardier estime que Boeing et ses fournisseurs ont réglé plusieurs difficultés liées aux matériaux composites, dont le 787 et la CSeries font abondamment usage.

«Nous profitons de l'apprentissage qui a été fait sur le 787, a noté M. Beaudoin. Le fait est que nous avons les mêmes fabricants de matériaux composites (que Boeing).»

Le dirigeant a par ailleurs assuré qu'une éventuelle remotorisation de la famille A320-A321-A319 d'Airbus ne présenterait aucune menace à la CSeries.

D'après Bombardier, une remotorisation donnerait de bons résultats en termes de réduction de la consommation de carburant pour l'A320 (capacité de 150 à 180 passagers), mais pas pour l'A319 (qui compte de 124 à 145 sièges). Or, la CSeries concurrencera directement l'A319, pas l'A320.

Bombardier estime que les économies de carburant se limiteront à 6% pour l'A319, alors que la CSeries promet une baisse de 20%.

Pour Bombardier, le principal risque qui découlerait d'une décision d'Airbus de remotoriser sa famille A320, c'est que certains médias concluraient à «la mort de la CSeries», a avancé Pierre Beaudoin, sans toutefois s'en montrer trop inquiet.

Jets régionaux

Pour ce qui est du marché traditionnel de Bombardier Aéronautique, celui des avions régionaux, le pdg s'attend à ce qu'il sorte de sa morosité l'an prochain ou en 2012, une fois que les transporteurs américains se seront débarrassés de leurs appareils de 50 sièges, qui ne sont plus rentables.

Les commandes devraient se multiplier pendant quatre ou cinq ans, selon Bombardier, après quoi le marché deviendra plus difficile en raison de l'arrivée de nouveaux concurrents en provenance du Japon, de la Russie et de la Chine.

«Même si les jets régionaux continueront de faire partie de notre offre de produits, la croissance proviendra surtout de la CSeries», a affirmé M. Beaudoin.

Le dirigeant a également formulé des commentaires inédits sur la stratégie de Bombardier en Chine.

«Nous établissons des partenariats avec le secteur aéronautique chinois pour avoir accès au marché local, mais également pour nous rapprocher de la Chine afin de pouvoir présenter à nos clients à travers le monde un front uni - la Chine et Bombardier - contre Boeing et Airbus», a-t-il dit.

Pierre Beaudoin a évoqué le contrat de fabrication du fuselage de la CSeries octroyé à une entreprise chinoise et le «coup de main» que Bombardier donne aux Chinois dans le développement du C919, un avion de 168 à 190 sièges qui doit entrer en service en 2016.

«Ils développent un produit pour concurrencer avec les Boeing et les Airbus, de sorte que nous pourrons ensuite travailler ensemble dans le reste du monde. C'est une vision à long terme que les Chinois aiment beaucoup.»

Rail

D'autre part, dans le secteur ferroviaire, Bombardier fait preuve d'un intérêt modéré pour les projets de liaisons rapides au sud de la frontière.

«Je pense que ce qui est surtout en train de se produire aux États-Unis, et chaque discussion que j'ai eue avec le secrétaire (aux Transports) Ray LaHood portait là-dessus, c'est comment rendre plus rapide le réseau actuel, notamment par le biais de meilleurs systèmes de signalisation», a indiqué M. Beaudoin.

Bombardier suit tout de même de près deux projets de trains rapides en Floride et un autre qui relierait la région de Los Angeles à Las Vegas, baptisé Desert Xpress.

Les projets californiens ne sont pas prioritaires pour l'entreprise québécoise parce qu'à son avis, ils sont peu susceptibles de se concrétiser rapidement.

L'action de Bombardier (TSX:BBD.B) a clôturé à 5,08 $, en hausse de 1,8%, à la Bourse de Toronto.