Elles gèrent déjà notre argent et nos placements, et paient des factures en notre nom. Et si les banques étaient les mieux placées pour recueillir, protéger et faire fructifier nos données personnelles ?

« L'idée, c'est que les consommateurs deviennent réellement propriétaires de leurs données. Pas Facebook, pas les médias sociaux. Et qu'ils puissent en tirer profit pour eux-mêmes, pour leur famille, ou même les donner à une oeuvre de charité, par exemple », dit Richard Nesbitt.

Ex-PDG de la Banque CIBC et de la Bourse de Toronto, Richard Nesbitt dirige maintenant le Global Risk Institute, un groupe de réflexion torontois spécialisé dans la recherche de nouvelles idées en matière de gestion du risque et de technologies financières.

Dans une lettre ouverte publiée hier matin dans le quotidien The Globe and Mail, celui qui enseigne dorénavant à la London School of Economics et à la Rotman School of Management propose une avenue nouvelle : que les entreprises du secteur financier deviennent en quelque sorte des intermédiaires entre les consommateurs et les géants des médias sociaux.

Ces derniers ont désormais une valeur boursière de 2000 milliards de dollars, notamment grâce à la mise en marché des données personnelles, souligne-t-il. Au passage, elles ont accru le risque pour les consommateurs d'être victimes d'une brèche informatique et de fraude financière. « Les firmes technologiques en retirent tous les avantages, mais ne laissent que les risques à leurs utilisateurs », dit-il.

COFFRE BANCAIRE NOUVEAU GENRE

Il propose donc un nouveau segment d'affaires pour les institutions financières. Elles pourraient offrir à leurs clients d'ouvrir un « compte » où seraient stockées leurs données personnelles : non seulement les informations financières, mais aussi les historiques de recherche, les applications utilisées, etc.

Ce coffre bancaire nouveau genre serait ensuite partagé selon les instructions des clients, tandis que les banques auraient l'obligation de le protéger.

« Je ne travaille plus dans le secteur financier, mais je pose la question : à qui faisons-nous le plus confiance ? Aux médias sociaux ou aux banques qui gèrent notre épargne ? », demande M. Nesbitt en entrevue.

« Le secteur financier est déjà hautement réglementé. C'est une industrie dont le principal actif est la confiance. Pas les médias sociaux. Si ma carte de crédit est piratée, la banque va s'en occuper. »

M. Nesbitt évoque notamment les longues et complexes conditions d'utilisation qui accompagnent le téléchargement d'une nouvelle application. Selon lui, les banques seraient désormais en position de négocier les termes de ces conditions au nom de leurs clients.

« Personne ne les lit jamais. Et je pense que la proposition devrait être renversée. Les consommateurs devraient pouvoir dire : "voici MES conditions d'utilisation, et je ne consentirai pas à vos conditions avant que vous acceptiez les miennes". »

BOOM À VENIR

L'ex-banquier reconnaît qu'un long débat s'annonce quant à la gestion des données personnelles, mais il estime qu'il se fera sans cesse plus pressant, compte tenu de l'explosion prévue du nombre de données échangées au cours des années à venir.

« Il ne s'agit pour l'instant que d'une idée que nous soumettons au public, dit-il. Je ne suis pas au courant qu'il existe présentement une initiative du genre. »

Dans un courriel envoyé à La Presse, l'Association des banquiers canadiens indique aussi que l'industrie financière au pays n'a pas officiellement déclaré vouloir assumer un tel rôle.

M. Nesbitt estime toutefois que les gouvernements qui encadrent déjà le secteur financier ont un rôle à jouer. « Ils doivent renforcer à travers leurs politiques et leurs lois cette idée selon laquelle les clients sont les propriétaires de leurs données. Pas M. Zuckerberg chez Facebook. »