Plus de 60 ans après sa fondation, la firme montréalaise Jarislowsky Fraser - l'un des piliers financiers du Québec inc. - passe dans le giron de la Banque Scotia dans le cadre d'une transaction évaluée à 950 millions de dollars.

L'entreprise d'environ 150 employés fondée en 1955 par Stephen Jarislowsky, qui gère un actif supérieur à 40 milliards, conservera néanmoins son nom, poursuivra ses activités de façon autonome et son siège social demeurera à Montréal.

« La Banque Scotia, avec son réseau de distribution actuel, se trouve dans une position unique pour préserver l'héritage de notre firme et soutenir la prochaine phase de croissance », a fait valoir son fondateur, lundi, par voie de communiqué.

Surnommé par plusieurs « le Warren Buffet » du Canada, M. Jarislowsky n'était pas disponible pour accorder des entrevues. Le milliardaire et philanthrope de 92 ans, né en Allemagne et qui avait tiré sa révérence à la tête de la firme en 2012, demeurera associé.

Selon le plus récent classement de la publication Canadian Business, l'homme d'affaires occupait le 51e échelon de la liste des 100 personnes les mieux nanties au pays avec une fortune évaluée à près de 2,1 milliards de dollars.

Aux commandes de la firme depuis environ cinq ans, Pierre Lapointe conservera son poste de président.

Dans les années 50, Jarislowsky Fraser vendait des données financières aux investisseurs. Elle a commencé à fournir des services-conseils et à gérer des fonds pour des caisses de retraite, des entreprises et des organisations gouvernementales dans les années 60. La plupart de ses principaux clients sont actuellement des institutions ainsi que des gens fortunés.

Pour le premier vice-président, gestion de patrimoine de la Scotia, Glen Gowland, les activités de Jarislowsky Fraser sont « complémentaires », ce qui permettra à l'institution de mieux se diversifier, puisque la majorité de ses profits provient de ses activités de détail.

« C'est l'élément clé pour nous, a-t-il dit au cours d'un entretien téléphonique. Nous voulions bonifier notre empreinte du côté institutionnel. »

Vent de consolidation

Cette transaction, dont la clôture est prévue au troisième trimestre, fera de la Scotia le troisième gestionnaire d'actifs en importance au Canada, avec 166 milliards en date du 31 décembre.

« L'industrie de la gestion de portefeuilles est arrivée à une certaine maturité où les gains des belles années ne se répéteront pas toujours », a estimé le directeur général de l'Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques (IGOPP), Michel Nadeau, au cours d'un entretien téléphonique.

Selon l'ex-numéro deux de la Caisse de dépôt et placement du Québec, M. Jarislowsky a fait le choix de s'allier à un partenaire plutôt que de vendre la firme à ses employés ou à des membres de sa famille.

Cette transaction survient après que la banque canadienne eut indiqué publiquement, le 1er février dernier, son intérêt à acquérir des firmes privées spécialisées dans la gestion de portefeuilles et de placements.

« Il y a un vent de consolidation et il y a peu de joueurs disponibles », a pour sa part souligné Nicolas Marcoux, associé directeur national, conseils et transactions chez PwC.

Celui-ci a estimé qu'il s'agissait d'une « belle prise » pour l'institution financière, qui met la main sur une marque connue, un portefeuille d'actifs de qualité ainsi que sur une équipe de gestion bien implantée au pays qui a fait ses preuves.

Il s'agit également d'une autre acquisition en quelques mois pour la Banque Scotia, qui a bonifié son empreinte en Amérique latine. Le mois dernier, l'institution avait mis la main sur les activités de services aux particuliers et aux petites et moyennes entreprises de Citibank en Colombie pour un montant qui n'avait pas été dévoilé.

En décembre, la banque torontoise avait acquis une participation majoritaire de 68 % dans BBVA Chile, au Chili, pour 2,9 milliards de dollars.

Déplacement ?

Selon M. Nadeau, cette vente de Jarislowsky Fraser ne constitue pas un déplacement d'un centre décisionnel financier vers la Ville-Reine.

« Jarislowsky Fraser est dirigée par une équipe, a-t-il dit. C'est le système qui a été mis en place dans cette firme. Il y a déjà une bonne partie de cette équipe de gestion qui se trouve à Toronto. »

La Banque Scotia compte financer la transaction par l'entremise d'une émission d'actions ordinaires. Un montant supplémentaire pouvant atteindre 56 millions de l'institution financière pourrait également être versé si certains objectifs de croissance sont atteints.

Bien connu du public, Stephen Jarislowsky détient une formation en génie mécanique de l'université Cornell, un baccalauréat en culture orientale de l'Université de Chicago et une maîtrise en administration des affaires de l'université Harvard. Il est également détenteur de plusieurs doctorats honorifiques.