Un jugement historique a été rendu, hier matin, à Montréal. Les institutions financières doivent verser plus de 200 millions de dollars aux détenteurs de cartes de crédit du Québec pour des frais injustifiés concernant la conversion de devises.

Essentiellement, le jugement statue que neuf banques canadiennes et le Mouvement Desjardins ont facturé à leurs clients des frais de conversion de devises en violation de la Loi sur la protection du consommateur (LPC). Il s'agit des frais de conversion que facturent les institutions pour des transactions sur cartes de crédit réalisées à l'étranger, notamment aux États-Unis.Selon le jugement, certaines institutions ont fait défaut de divulguer ces commissions facturées à leurs clients, ce qui est contraire à la LPC. De plus, ces frais sont associés à des frais de crédit; conséquemment, les institutions ne peuvent les facturer si leurs clients acquittent mensuellement le solde de leurs cartes avant le délai de grâce de 21 jours prévu par la LPC.

Il s'agirait de la plus importante somme accordée dans un dossier de recours collectif au Canada.

L'affaire concerne plus précisément trois recours collectifs connexes pour lesquels le juge Clément Gascon a rendu un verdict de recouvrement collectif favorable. Trois consommateurs réclamaient justice au nom des Québécois: Réal Marcotte, Bernard Laparé et Sylvan Adams. Les cabinets d'avocats qui ont parrainé les recours sont Trudel&Johnston et Lauzon Bélanger.

Le jugement principal fait quelque 200 pages. Il a été écrit au terme d'un procès en Cour supérieure à l'automne dernier qui a duré trois mois. Compte tenu de l'importance de l'enjeu, une vingtaine d'avocats représentaient les institutions financières, de huit cabinets différents.

«C'est un jugement extrêmement étoffé, impressionnant. Le juge a couvert tous les arguments des banques et ne les a pas retenus. Nous sommes très satisfaits», dit l'avocat Bruce Johnston.

Banque Nationale, Desjardins...

Les recours collectifs visent essentiellement les clients du Québec qui détenaient une carte de crédit Visa, MasterCard ou Amex entre 2000 et 2007. Pratiquement toutes les banques sont visées, qu'il s'agisse de la Banque Royale, de la Banque Nationale, de la Banque TD, de la Banque Scotia, de la Banque de Montréal, etc.

Dans le cas de banques, le jugement exige qu'elles dédommagent leurs clients pour une somme de 156 millions de dollars. Pour Desjardins, le dommage est de 28,4 millions. Un autre dommage particulier est demandé pour la Banque Amex (American Express), de 15,6 millions.

En plus de ces quelque 200 millions, certaines institutions doivent payer un dommage punitif de 25$ par client. Un autre dommage sera accordé pour des réclamations individuelles, selon des modalités à être déterminées ultérieurement. Ces derniers dommages se chiffreraient aussi à plusieurs dizaines de millions de dollars.

Les institutions financières ont 30 jours pour porter l'affaire en Cour d'appel. «Le jugement surprend beaucoup tout le monde. Je présume qu'il va y avoir appel», a dit Michel Deschamps, l'avocat représentant la Banque Nationale et la Scotia, lui qui n'avait pas encore fini de lire les 200 pages du jugement.

À la Banque de Montréal, la porte-parole, Lucie Gosselin, était également peu loquace. «Il est un peu tôt pour faire un commentaire. Nos avocats se penchent sur la question», a-t-elle indiqué.

Chez Desjardins, on est aussi en train de faire une analyse exhaustive du dossier. «On va évaluer toutes nos options, y compris celle d'un appel», dit le porte, André Chapleau.

La constitution

Les banques ont donné toutes sortes d'arguments pour faire valoir leurs points de vue, mais le juge les a tous rejetés.

Dans une transaction, la LPC qualifie essentiellement un achat par carte de crédit de «capital net». Or, rappelle le juge, «la LPC considère que tout montant qu'un consommateur doit payer qui n'est pas du capital net est un frais de crédit. Les frais de crédit sont en quelque sorte la catégorie résiduaire qui englobe tout ce que l'autre n'inclut pas».

En somme, comme les frais de conversion de devise ne sont pas du «capital net», dit le juge, ils sont nécessairement des frais de crédit et ne peuvent être facturés inconditionnellement.

Même l'inconstitutionnalité de la LPC à l'endroit des banques a été débattue en Cour, mais leurs arguments n'ont pas été retenus.

«Donner foi à l'interprétation que suggèrent les banques les placerait dans une situation avantageuse par rapport à toutes les autres institutions financières oeuvrant au Québec en matière de carte de crédit et ce, au détriment des consommateurs au premier chef (...) le Tribunal est donc d'avis que la doctrine de la prépondérance fédérale ne s'applique pas en l'espèce. Les dispositions en litige de la LPC et de son règlement d'application demeurent opérantes à l'endroit des banques», écrit le juge.

25$ par 1000$ d'achats

Le jugement vous touche-t-il?

Si vous avez voyagé à l'étranger depuis l'an 2000 et porté des dépenses sur votre carte de crédit, vous être normalement touché par un des jugements rendus hier.

Combien pourrez-vous récupérer?

Vous avez droit à 25$ pour chaque tranche d'achats de 1000$CAN portés à votre compte et effectués en devises étrangères, que ce soit en euros, dollars américains ou autre renminbis chinois. Ça équivaut à 2,5% des achats.

«Il y a des gens qui voyagent beaucoup, pour qui les dépenses en voyage sont presque exclusivement réglées avec une carte de crédit, ça peut donc être plusieurs centaines de dollars dans certains cas et seulement quelques dollars dans d'autres. Ça va varier», explique l'avocat Bruce Johnston.

Quoi faire pour obtenir votre dû?

Si vous avez conservé vos vieux relevés de carte de crédit, mieux vaut les garder encore un bout. «a preuve sera plus facile à faire si on a ses propres relevés», souligne encore M. Johnston.

Par contre, il est possible que le juge, après avoir entendu de nouveau les institutions financières et les avocats du demandeur, décide d'une méthode simple, qui laisserait aux banques et à Desjardins le soin de calculer elles-mêmes les sommes à rembourser.

Si c'est le cas, elles pourraient envoyer un remboursement directement sur votre relevé de compte, sans que vous n'ayez aucune réclamation à faire. Dans tous les cas, «il va y avoir une annonce lorsqu'il y aura une décision de prise», souligne encore l'avocat. Bref, lisez votre journal.

À quand le remboursement?

L'option rapide: le juge entend dans les prochains mois les représentations des parties sur le meilleur moyen de rendre les quelque 200 millions aux Québécois. L'argent pourrait alors être versé assez rapidement.

L'option plus lente: l'affaire est portée en appel, comme le laissait entendre hier l'avocat représentant la Banque Nationale et la Scotia, Michel Deschamps. Les Québécois, si le jugement n'est pas infirmé en Cour d'appel, pourraient alors devoir attendre «un an et demi ou deux ans», selon l'estimation de M. Johnston.



Est-ce que ça change quelque chose pour les voyages à venir?


Comme le jugement a statué de l'illégalité des frais de conversion demandés, les institutions financières vont devoir changer leurs pratiques. Comment? La réponse est moins claire. «Il y a plusieurs avenues qui leur sont ouvertes... il n'y a pas une recette unique.»

- Avec la collaboration de Stéphane Paquet