La Cour d'appel du Québec a confirmé le 12 novembre le jugement de première instance donnant raison à Revenu Québec de refuser la stratégie fiscale dont s'est servie la société Les Développements Iberville, contrôlée par Sylvan Adams, pour ne pas payer d'impôt au Québec. L'enjeu est une facture d'impôt colossale dépassant les 100 millions de dollars.

« Dans un jugement fort bien motivé, le plus haut tribunal du Québec est venu confirmer que cette série d'opérations commerciales et corporatives effectuées par le contribuable a engendré un évitement fiscal abusif, s'est réjouie l'agence, à qui La Presse a demandé de commenter le jugement.

« Il s'agit d'une victoire importante pour l'intégrité du régime fiscal, poursuit Revenu Québec, et qui confirme la robustesse de la règle générale anti-évitement québécoise en tant que puissant outil pour contrer les planifications fiscales agressives interprovinciales. »

JUTEUX GAIN EN CAPITAL

La famille Adams a vendu ses principaux centres commerciaux du Québec en 2005, réalisant au passage un juteux gain en capital de 728 millions. Ces centres comprennent les Galeries de la Capitale, le Carrefour de l'Estrie, la Grande Place des Bois-Francs et les terrains du DIX30. Le litige comprend aussi d'autres sommes en jeu, notamment des récupérations d'amortissement de 67 millions et d'autres litiges de moindre importance.

En bref, Les Développements Iberville a payé cette année-là ses impôts au fédéral, mais a évité la facture au provincial grâce à un stratagème reposant sur le changement de fin d'année financière. Le fisc a bloqué la manoeuvre en ayant recours à la règle générale anti-évitement. M. Adams a porté en appel l'application de cette règle.

ÉCHAPPATOIRE BLOQUÉE

Le stratagème suggéré par le fiscaliste Serge Bilodeau de KPMG et utilisé par Les Développements Iberville se nomme Quebec Year-End Shuffle ou Q-YES, et consiste à tirer profit des différentes dates de fin d'année financière, en fonction des territoires. Le ministère des Finances a bloqué l'échappatoire en 2008.

Avant 2008, il était possible pour un contribuable d'avoir une date de fin d'exercice différente au fédéral et au provincial. Certaines des sociétés contrôlées par M. Adams ont eu comme date de fin d'exercice au fédéral le 28 février et comme date de fin d'exercice au provincial le 19 mars. Pour pouvoir recourir au Q-YES, M. Adams a mis en place deux sociétés en Ontario dans lesquelles les actifs québécois ont été transférés le 1er mars. Ainsi, le 28 février, fin de l'année financière des sociétés ontariennes, lesdites sociétés n'avaient pas d'activité en Ontario et le 19 mars, fin de l'année financière des sociétés québécoises, c'était à leur tour de ne pas avoir d'activité au Québec et, par conséquent, de ne pas payer d'impôts.

ÉVITEMENT FISCAL ABUSIF

Le juge de première instance, Daniel Bourgeois, a statué que la mesure constituait de l'évitement fiscal abusif. Le juge Mark Schrager, de la Cour d'appel, corrobore : « le roulement d'actif a servi à éviter le paiement des impôts, pas à les différer. En agissant de la sorte, les appelants ont agi de façon contraire à l'objectif et à l'esprit des dispositions de la loi. Cela constitue un abus », écrit-il au nom des trois juges qui ont entendu l'appel.

Malgré son opposition à l'avis du fisc, Sylvan Adams a consenti à verser les 101 millions en 2010, dans l'attente d'un jugement définitif.

On ne sait pour le moment si le contribuable envisage d'interjeter appel devant la Cour suprême. Il a été impossible de parler avec son avocat Dominic Belley de Norton Rose.

« PAS UN RÉFUGIÉ D'IMPÔTS »

Pour sa part, M. Adams vit à Tel-Aviv, en Israël, depuis 2015. Coureur cycliste accompli évoluant sur le circuit des maîtres, l'homme d'affaires est à l'origine de la venue du Tour d'Italie en Terre sainte. Les premières étapes de l'édition 2018 s'y sont déroulées, une première hors de l'Europe.

« Je ne suis pas un réfugié d'impôts, avait-il déclaré au confrère Simon Drouin, dans un article sur le Giro paru le 4 mai. Tous mes impôts sont payés, je n'ai pas de dettes, ni au Québec ni au Canada [...]. Tout ce que j'ai fait là-bas, j'ai travaillé fort, j'ai investi, j'ai engagé du monde, j'ai été un bon employeur. Je n'ai jamais été accusé de quoi que ce soit. J'ai des droits comme contribuable. »

Sylvan Adams n'est plus impliqué dans Les Développements Iberville.