Sans travailleurs étrangers, Simon-Pierre Ratelle ne sait pas comment il pourra continuer à faire croître Multi-Paysages, la firme de terrassement de Joliette dont il est copropriétaire.

« Pour embaucher un travailleur, il faut en rencontrer 10 et encore, on n'est pas sûr de le garder longtemps », déplore-t-il.

Depuis six ans, Multi-Paysages compte sur des employés d'origine guatémaltèque, qui comblent le tiers de ses besoins de main-d'oeuvre en période de pointe l'été. Cette année sera probablement la dernière, en raison des nouvelles règles fédérales qui s'appliqueront au Québec le 1er juillet.

Les frais d'ouverture d'un dossier passeront alors de 275 $ à 1000 $ par travailleur étranger, et leur nombre sera soumis à des quotas qui diminueront progressivement. Ces nouvelles règles ne touchent pas les entreprises agricoles qui font appel à des travailleurs saisonniers, mais elles compliquent sérieusement la vie de beaucoup d'autres.

Cette année, des retards dans la délivrance des visas des travailleurs étrangers forcent Multi-Paysages à reporter des travaux et à en confier d'autres en sous-traitance en renonçant à toute rentabilité. C'est un avant-goût de ce qui attend l'entreprise quand elle ne pourra plus embaucher de travailleurs étrangers. « Il va falloir accepter moins de contrats », estime Simon-Pierre Ratelle.

Les transformateurs alimentaires, les abattoirs, les entreprises de conditionnement de poisson et les terrassiers comme Multi-Paysages sont directement touchés, explique Denis Hamel, directeur général de FERME, l'organisme à but non lucratif qui encadre depuis 25 ans l'embauche de main-d'oeuvre étrangère au Québec.

Selon lui, certaines de ces entreprises pourraient bien décider de poursuivre leur croissance aux États-Unis. 

« C'est arrivé en Ontario, où les règles fédérales ont été appliquées un an plus tôt qu'au Québec. », ajoute Simon-Pierre Ratelle.

En Ontario, le nombre d'entreprises spécialisées dans la transformation alimentaire est passé de 45 à 10, au cours des dernières années.

Augmenter les salaires?

Le directeur général de FERME estime que l'augmentation des salaires ne peut pas régler la pénurie de main-d'oeuvre dans plusieurs secteurs. « Le prix des fruits et des légumes est déjà passablement élevé au Québec », souligne-t-il.

C'est aussi l'opinion de Dominic Parent, propriétaire de la buanderie Paranet à Québec.

L'entreprise recrute ses clients chez les hôteliers et restaurateurs de la capitale, dont les besoins culminent en période estivale.

Paranet a cessé depuis deux ans de faire appel à de la main-d'oeuvre étrangère, en raison des tracasseries administratives. M. Parent dit comprendre tout à fait l'intention du gouvernement fédéral de vouloir faire travailler les Canadiens. « L'embauche des travailleurs étrangers, ça ne devrait pas exister tant qu'il y a des gens de 18 à 45 ans en santé qui n'ont pas d'emploi », assure-t-il.

Depuis qu'il n'a plus recours à la main-d'oeuvre étrangère, Dominic Parent travaille très fort pour recruter des employés, sans trop de succès. 

« Je suis prêt à embaucher 25 personnes à temps plein demain matin, mais mon principal concurrent, c'est l'aide sociale. » 

Selon lui, le resserrement des règles de l'aide sociale pourrait aider grandement à solutionner la pénurie de main-d'oeuvre. « On a la solution au bout des doigts, mais le gouvernement n'ose pas », soutient-il.

Selon son patron, Paranet continue de croître, mais pas au rythme qu'elle devrait. « On a une croissance X, mais on pourrait avoir une croissance de 2X si j'avais la main-d'oeuvre dont j'ai besoin. »

Le cas Veg Pro

Veg Pro International est une entreprise fondée en 1952 à Sherrington, en Montérégie. Avec le temps, elle est devenue un des plus importants maraîchers du Québec et a innové en mettant sur le marché des salades en kit prêtes à manger.

D'un côté, Veg Pro peut continuer à faire appel à des travailleurs étrangers pour cultiver ses terres. De l'autre, ses activités d'emballage de laitues pourraient être soumises aux nouvelles règles. Les conséquences pourraient être désastreuses si les quotas de travailleurs étrangers s'appliquent, explique Chantal Teasdale, directrice des ressources humaines de l'entreprise.

«Avec un quota de 30%, c'est encore viable, mais à 20%, ça peut être fatal», dit-elle.

Veg Pro est installée depuis 2001 en Floride, où elle cultive et emballe des légumes. L'entreprise pourrait continuer sa croissance au sud de la frontière, si elle ne peut pas le faire ici. «Ce n'est pas ce qu'on souhaite», précise Chantal Teasdale.

Veg Pro a demandé au gouvernement fédéral d'être considérée comme une entreprise agricole à 100%, ce qui l'exempterait des nouvelles règles sur les travailleurs étrangers. Elle est en attente d'une réponse.

Comment ça fonctionne

1. Quel est l'objectif du Programme des travailleurs étrangers temporaires?

Le programme a été mis sur pied afin de permettre aux employeurs canadiens qui font face à des pénuries de main-d'oeuvre à court terme d'embaucher des étrangers pour pourvoir des postes qui, autrement, demeureraient vacants. Ce sont souvent des entreprises qui travaillent dans le domaine de la restauration, de l'agroalimentaire, de la pêche ou de l'hébergement. Avant de recourir à des travailleurs étrangers temporaires, un employeur doit toutefois démontrer qu'il a tenté sans succès de recruter un citoyen canadien ou un résident permanent pour pourvoir un ou des postes.

2. Quels changements ont été adoptés?

Baptisée «Les Canadiens d'abord», la nouvelle mouture du programme stipule que les entreprises de plus de 10 employés ne peuvent pas faire venir de l'étranger plus de 10% de leur main-d'oeuvre peu rémunérée. Dans les régions où le taux de chômage est à plus de 6%, les employeurs ne peuvent pas recruter de travailleurs étrangers dans les secteurs de l'hôtellerie, du commerce au détail et de la restauration. Aussi, le séjour d'un travailleur étranger au Canada est maintenant limité à deux ans, au lieu de quatre. Autre élément important: aucun travailleur canadien ne peut être mis à pied ou se voir imposer une réduction de ses heures de travail après l'embauche d'un travailleur étranger.

- Joël-Denis Bellavance