L'ancien centre de distribution Zellers a bien mauvaise mine. Le bâtiment de plus de 400 000 pieds carrés, situé en bordure de l'autoroute Transcanadienne, affiche une pancarte «à louer» bien en évidence sur son revêtement de tôle décolorée. Juste à côté, un petit centre commercial décrépit se cherche aussi de nouveaux occupants depuis un bon moment déjà.

Ces deux immeubles commerciaux de Pointe-Claire sont loin d'être uniques. En fait, l'Ouest-de-l'Île de Montréal a rarement vu autant de pancartes «à vendre» et «à louer» qu'aujourd'hui.

La situation est frappante en bordure immédiate de la Transcanadienne. Entre Sainte-Anne-de-Bellevue et Pointe-Claire, qui marquent les deux extrémités du West Island, on peut voir une enfilade ininterrompue de locaux disponibles. «Avant, avoir une façade sur l'autoroute 40 commandait une surprime; maintenant, c'est devenu un problème, avec toutes les histoires de circulation», résume Bernard Marcotte, directeur général principal de la firme de courtage Cushman&Wakefield.

Les fermetures successives de plusieurs gros laboratoires biopharmaceutiques ont porté un coup dur à l'économie de cette région, qui regroupe huit villes «défusionnées» et deux arrondissements de Montréal (Pierrefonds-Roxboro et L'Île-Bizard-Sainte-Geneviève). Du jour au lendemain, ou presque, ces géants ont plié bagage, libérant d'immenses blocs d'espace.

En parallèle, plusieurs groupes américains ont fermé leurs portes ou réduit leurs activités ces dernières années, en particulier dans le secteur manufacturier. Le fabricant d'emballages de plastique Pretium a par exemple cessé ses activités à Pointe-Claire l'an dernier, supprimant du coup 65 emplois. Certaines anciennes usines apparaissent aujourd'hui comme des fantômes industriels d'une autre époque. D'autres entreprises ont déménagé le long de l'autoroute 30, sur la Rive-Sud, ou à Vaudreuil, un peu plus à l'ouest, deux régions où la congestion routière est moins criante.

Renouveau

Si les pancartes «à louer» sont omniprésentes, l'état de santé économique de l'Ouest-de-l'Île, dans son ensemble, est loin d'être catastrophique. Selon la firme CBRE, le taux de disponibilité des locaux industriels (usines, entrepôts, etc.) s'élève à 8,7% au troisième trimestre. C'est plus qu'en 2001 (4,7%), mais tout de même moins élevé que le sommet atteint en 2009 (11%).

Le taux d'inoccupation est plus élevé dans le segment des bureaux (19,2%), mais il a diminué depuis 2009, alors qu'il était à 22,1%. Il faut dire qu'une quantité considérable de nouveaux immeubles ont été érigés depuis, si bien que le nombre total de pieds carrés loués est plus élevé qu'à l'époque.

«Il n'y a pas d'immeubles vraiment vides, explique Nicolas Roy, directeur général et commissaire industriel de l'organisme Développement économique West Island. Il y a beaucoup de nouvelles constructions, et vous remarquerez aussi beaucoup de pancartes "nous embauchons".»

Dans les faits, l'économie de l'Ouest-de-l'Île s'est remise de façon assez solide de la crise de 2008-2009. Le taux d'emploi est croissant depuis les quatre dernières années, et il a atteint 2,3% l'an dernier, souligne M. Roy. «Il y a 125 000 emplois dans l'Ouest-de-l'Île, et une population active de 115 000. Ce n'est pas une banlieue-dortoir: même si tous les gens de la population active travaillaient dans le secteur, il y aurait quand même une pénurie de 10 000 travailleurs!»

La multiplication des pancartes «à louer» symbolise davantage la désuétude de plusieurs immeubles industriels que la chute brutale de la demande. Les projets d'investissements sont nombreux et variés. Pour la plupart, ils se sont déplacés un peu en retrait de l'autoroute 40 et sont donc invisibles depuis cette artère.

Pendant une tournée des différents parcs industriels de l'Ouest-de-l'Île, Nicolas Roy se fait un plaisir de nommer les différents investissements réalisés au cours des derniers trimestres. À Pointe-Claire, le designer Frank Lynman a construit une usine flambant neuve. À Baie-d'Urfé, le groupe japonais Shoie a installé un nouveau centre de production de poudre de zinc. À Kirkland, le groupe John Scotti vient d'inaugurer un concessionnaire Lamborghini. La liste est longue.

Le secteur aéronautique demeure «très fort», surtout aux abords de l'aéroport Montréal-Trudeau, note Joseph Huza, directeur général de la Chambre de commerce de l'Ouest-de-l'Île. Le West Island compte 7000 entreprises totalisant 20 milliards de chiffre d'affaires, rappelle-t-il.

L'un des immeubles les plus emblématiques des problèmes récents de la région connaîtra pour sa part une deuxième vie. Broccolini et Magil Laurentienne se sont alliés pour racheter les anciens laboratoires de Merck Frosst, en bordure de la Transcanadienne, à Kirkland. Une partie des locaux de 1 million de pieds carrés sera détruite pour faire place à un nouveau quartier résidentiel de 1800 maisons de ville et copropriétés.

Les deux bâtiments restants seront entièrement rénovés pour accueillir de nouveaux locataires. Le projet, appelé Quartier Évolution, totalise «des centaines de millions de dollars», soutient Sam Tsoumas, directeur de la location chez Broccolini.

Ce constructeur est omniprésent dans l'Ouest-de-l'Île. Broccolini a construit plus de 600 000 pieds carrés de bureaux et 2 millions de pieds carrés de bâtiments industriels depuis cinq ans, avec un taux de vacance d'environ 2,5%, affirme M. Tsoumas.

«Il y a deux côtés au West Island, avec des locaux horribles dans le coin de Hymus, et de nouvelles constructions qui se portent bien un peu partout ailleurs», résume-t-il.

Plus de francos... et de pauvres

Wendy Gariepy est débordée. Alors que le temps des Fêtes approche à grands pas, la directrice de la Mission Ouest-de-l'Île croule sous les demandes de familles démunies, qui espèrent mettre la main sur un panier de Noël.

«On a eu 350 demandes, les besoins sont tellement grands et les clientèles, de plus en plus nombreuses», déplore-t-elle.

Wendy Gariepy tient à défaire un mythe: la pauvreté existe dans l'enclave cossue du West Island, elle est même de plus en plus présente. Au total, les trois banques alimentaires du secteur aident chaque mois 900 familles, «et il y a probablement autant de ménages qui auraient besoin d'aide, mais qui sont trop gênés pour y aller», avance-t-elle.

La forte proportion d'immigrants récents et le nombre grandissant de personnes âgées qui vivent avec une maigre pension expliquent en partie cette explosion de la demande, croit Mme Gariepy.

Bilinguisme

Autre changement majeur dans l'Ouest-de-l'Île: les francophones s'y sont installés en masse au cours des dernières décennies. Rien à voir avec les années 60, se rappelle Clifford Lincoln, ancien ministre de l'Environnement dans le cabinet de Robert Bourassa.

«Ça a changé beaucoup, dit-il. Quand je suis arrivé à Beaconsfield en 1964, 85% de la population était anglophone et les conseils municipaux étaient seulement en anglais. Maintenant, le maire est francophone, et il y a beaucoup plus de francophones dans tout le West Island. Il y a une belle harmonie.»

Le taux de citoyens bilingues est beaucoup plus élevé dans le West Island que dans la région métropolitaine (69,7% contre 53,9%), mais on remarque néanmoins une légère érosion depuis le milieu des années 2000. Le taux d'unilingues anglophones a aussi grimpé de 7 à 7,4% entre les recensements de 2006 et 2011.

Combien coûte une maison unifamiliale...

... dans le sud du West Island?

381 500$ (+ 6%)

... dans le nord du West Island?

361 728$ (+ 2%)

... dans la région métropolitaine?

285 000$ (+ 1%)

Source: FCIQ. Prix médian au 3e trimestre, variation en % sur un an.

À quand un «Train de l'Ouest» ?

Philippe Couillard en a fait l'un de ses principaux engagements pendant la dernière campagne électorale, mais plusieurs désespèrent aujourd'hui de voir le gouvernement mettre en place à court terme le fameux «Train de l'Ouest».

Les résidants du West Island réclament depuis des décennies une liaison ferroviaire efficace pour rejoindre le centre-ville. La mobilisation s'est amplifiée ces dernières années, sous l'impulsion d'une coalition dont l'ancien ministre libéral Clifford Lincoln est le porte-parole.

«C'est une équation bien simple: plus vous avez de trains, plus vous avez de passagers, dit-il. Je rencontre chaque jour des gens qui me parlent de leur frustration.»

Le ministre des Transports, Robert Poëti, s'était engagé en juillet dernier à mettre en oeuvre un lien ferroviaire rapide avant la fin du mandat du gouvernement actuel, soit d'ici 2017. Le ministre a réitéré sa détermination en entrevue à La Presse Affaires cet automne, mais il a été impossible de lui parler cette semaine.

D'ici à ce que ce projet de 1 milliard de dollars voie le jour, le ministre a demandé à l'Agence métropolitaine des transports (AMT) d'augmenter la fréquence des trains sur la ligne actuelle grâce à l'acquisition de nouvelles voitures au coût d'environ 80 millions.

Clifford Lincoln craint que cette solution temporaire ne vienne retarder encore une fois le projet dans son intégralité. «La route 20 est engorgée dès 14h30, c'est le capharnaüm, et quand ils vont faire Turcot, ça va être le chaos total.»

À l'AMT, la porte-parole Fanie Clément St-Pierre a fait valoir que le projet suivait son cours. «L'AMT offrira ses recommandations au gouvernement par le dépôt, vers la fin de 2014, de la fiche d'avant-projet. Cette fiche d'avant-projet présentera au gouvernement les trois modes de transport qui pourraient être développés pour le Plan de mobilité de l'Ouest.»

Quelques investissements récents

• Construction d'un bâtiment de 338 000 pi2 à Senneville par Broccolini, pour héberger l'entreprise Tenaquip.

• Construction d'un bâtiment de 35 000 pi2 à Dollard-des-Ormeaux pour loger la société Novotaste.

• Location par Peleton Pharma d'un espace de 40 000 pi2 à Pointe-Claire, qui sera consacré à la recherche et au développement.

• Acquisition d'un bâtiment de 25 000 pi2 le long de l'autoroute 40 à Kirkland pour y reloger la concession Lamborghini Montréal.

• Déménagement du siège social d'Amaya Gaming Group à Pointe-Claire, dans des installations de 28 000 pi2.