On peut penser ce que l'on veut des concours. Il n'en demeure pas moins que remporter le titre du «meilleur porter du monde», comme vient de le faire la microbrasserie Brasseurs du monde, est en soi une très grande récompense. Du coup, la PME de Saint-Hyacinthe a vu ses ventes décoller de 35%. Mais surtout, cela donne des munitions au président de l'entreprise, Gilles Dubé, qui négocie actuellement avec des distributeurs américains. S'il le voulait, l'entrepreneur pourrait même se lancer à l'assaut de la Chine sans trop de difficulté.

«Un importateur chinois me dit que la grosse mode dans son pays, c'est de boire de la bière de microbrasserie. C'est sûr que ce pourrait être intéressant pour nous. Mais avant de courir, on va apprendre à marcher. C'est la même chose pour les États-Unis: un importateur nous est arrivé avec une demande qui représentait plusieurs conteneurs de bières par mois. C'était trop gros; on a préféré passer notre tour plutôt que de gaspiller nos chances de faire notre marque là-bas», explique Gilles Dubé, 47 ans.

Brasseurs du monde a fait bonne figure avec son «Big Ben Porter» au World Beer Awards (WBA) il y a quelques semaines. À la manière de demi-finales, ce concours récompense tout d'abord les meilleures bières des Amériques, d'Europe et d'Asie. Il se transporte ensuite à Londres, où les champions mondiaux sont désignés, encore une fois à l'issue de dégustations à l'aveugle.

D'autres microbrasseries d'ici, dont Unibroue et Le Trou du Diable, ont également remporté un titre mondial au WBA cette année. Mais le prix décroché par Brasseurs du monde relève du tour de force.

Non pas du fait que les bouteilles envoyées au concours par la PME ont été, ou bien brisées, ou bien perdues (et ce à trois reprises!) par les Fedex et UPS de ce monde. Mais plutôt parce que la PME n'existe que depuis... 18 mois.

L'entreprise de 15 employés est en exploitation depuis juin 2011. Et elle compte déjà une trentaine de produits différents. La PME en commercialise toutefois une douzaine (blonde, rousse, blanche, stout, porter, belge, etc.). Les autres bières, des brassins de spécialités dont certains détonnent par leur originalité, sont notamment offertes en quantités limitées à la salle de dégustation (Le Picoleur) attenante à ses installations brassicoles.

Répondre à la demande

Qu'est-ce qui différencie Brasseurs du monde des autres microbrasseries québécoises? «Être capable de répondre à la demande. Je me suis rendu compte que la plupart des petits brasseurs font de très bons produits, mais qu'ils sont toujours en rupture de stock et qu'ils ne sont pas capables de répondre à la demande», explique Gilles Dubé qui fait notamment équipe avec Dominic Charbonneau, brasseur en chef.

L'entrepreneur a déniché 11 autres actionnaires, avec lesquels il a amassé 1,3 million de dollars pour lancer sa microbrasserie. Ne faisant pas les choses comme les autres, Gilles Dubé avait déjà 75 points de vente lorsque ses premiers brassins ont été complétés. La PME en compte maintenant 400. Des dépanneurs de quartier aux boutiques de bières spécialisées, en passant par les supermarchés, les restaurants et les «broue pubs».

Le secret de Gilles Dubé? «Je souffre d'une maladie qu'on appelle l'entrepreneuriat. Depuis l'âge de 17 ans que je rêve d'avoir mon entreprise», dit-il. Issu d'une famille d'entrepreneurs maskoutains, M. Dubé a travaillé pour ses parents à titre de mécanicien autodidacte. Il a ensuite quitté le nid familial pour travailler dans le secteur industriel, puis agroalimentaire. De 2002 à 2010, il a bossé pour trois microbrasseries, d'où son excellente connaissance du milieu.

Brasseurs du monde vend 100% de ses produits au Québec. Son chiffre d'affaires dépasse 1,5 million. Avant de pénétrer le marché américain, le brasseur québécois est en train de faire sa marque en Alberta où, selon Gilles Dubé, le marché est en pleine effervescence. La PME s'apprête, pour une deuxième fois en quelques mois, à augmenter sa capacité de production grâce à l'ajout de nouvelles cuves de fermentation.

Enjeux de l'industrie

Jean-Pierre Tremblay, directeur général de l'Association des microbrasseries du Québec (AMBQ), ne peut que se réjouir du prix remporté par Brasseurs du monde au WBA. «Ça démontre que l'industrie microbrassicole québécoise a développé une expertise fantastique», dit-il.

Toutefois, il s'interroge: «Trouvez-vous normal que nos bières gagnent des prix à l'étranger, mais que les consommateurs québécois aient de la difficulté à en trouver sur les tablettes?»

Selon le DG de l'AMBQ, les quelque 99 microbrasseries du Québec ont parcouru un chemin fou depuis les années 80. Elles sont aujourd'hui présentes dans 56 villes disséminées dans 15 régions administratives. Bref, elles ont créé de l'emploi (et de l'expertise) en région! Surtout depuis que les artisans ont la possibilité de vendre sur les lieux de production.

Mais un obstacle de taille demeure: très peu de grandes surfaces ou de chaînes de dépanneurs acceptent de vendre de la bière de microbrasseries.

«Ça n'a pas de bon sens! , lance Jean-Pierre Tremblay. Les permis de vente sont entre les mains d'une poignée de décideurs. Les ventes des microbrasseries ne représentent que 6% du marché au Québec. On vise le 12% d'ici 2017. Mais pour le moment, la presque totalité du marché appartient aux trois grands brasseurs (Inbev-Labatt, Molson-Coors et Sleeman-Saporo) et aux produits qu'ils importent (Heineken, Corona, etc.).»

«La loi doit changer», dit-il.