Dix ans après sa signature, la paix des Braves a transformé les Cris du Québec en une nation prospère. Les 16 000 autochtones de la baie James ont maintenant un revenu personnel disponible parmi les plus élevés du Québec, grâce notamment aux contrats d'Hydro-Québec et aux transferts gouvernementaux.

En 2009-2010, plus d'un milliard de dollars ont circulé chez les Cris en provenance des pouvoirs publics et des sociétés d'État, selon les chiffres gouvernementaux.

L'année 2009-2010 constitue une année exceptionnelle avec plus de 439 millions de dollars de contrats octroyés par Hydro-Québec aux entreprises cries. Cette somme est appelée à chuter avec la fin prévisible des travaux à la centrale Eastmain 1-A.

En faisant abstraction des contrats de gré à gré conclus avec Hydro, les 16 000 Cris du Québec reçoivent 645 millions de dollars par année pour les services de santé, d'éducation et de garde d'enfants. Le montant sert aussi au logement, à la subsistance des trappeurs et au développement économique. En plus des contrats, Hydro leur verse autour de 25 millions par année en vertu de diverses conventions.

Les fruits de la Paix des Braves

Les 645 millions récurrents ne représentent pas la totalité de la facture, précise le Secrétariat aux affaires autochtones du Québec qui tient à jour le compteur. Les chèques d'aide sociale et d'allocations familiales n'entrent pas dans le calcul. Autres exclusions, les montants payés pour l'assurance maladie et les hospitalisations.

Cependant, les 645 millions récurrents prennent en compte les indemnités prévues par la paix des Braves québécoise (3,5 milliards sur 50 ans) et la paix des Braves fédérale (1,4 milliard sur 20 ans, mais versé d'un seul coup en 2008), lesquelles ouvrent la voie aux développements hydroélectrique, minier et forestier d'un territoire grand comme l'Allemagne. À ce titre, le ministère du Conseil exécutif (MCE) du Québec a transféré 99 millions aux Cris en 2009-2010, puis 106 millions en 2010-2011, selon des documents obtenus en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.

La Presse Affaires a visité les villages de Mistissini et d'Oujé-Bougoumou en août dernier, à proximité des villes de Chibougamau et de Chapais.

À Oujé, à 38 km de Chapais, un village modèle de 800 habitants construit en 1992 suivant les plans de l'architecte Douglas Cardinal à qui l'on doit le Musée canadien des civilisations, à Gatineau, on construit le futur Institut culturel cri au coût de 15 millions de dollars. Autre chantier en vue, l'auberge Capissisit doublera de capacité, à 24 chambres, cet automne au coût de 5 millions de dollars.

« Oujé est le plus beau village nordique au Canada », dit, non sans fierté, Steve Lalancette-Mianscum, 30 ans. Jonquiérois dans son enfance, fils d'une mère crie, l'agent de développement touristique vit à Chibougamau, à 60 km, en attendant qu'on lui bâtisse une maison à Oujé, dans 2 ans.

« La croissance économique que connaît Mistissini depuis 10 ans vient de la paix des Braves », reconnaît le grand chef Richard Shecapio, dans une entrevue à son bureau du Conseil de bande. Dans ce village de 4000 habitants, à 130 km d'Oujé, il se bâtit de 15 à 20 nouvelles maisons par année, dont certaines se vendraient 350 000 $ et plus à Laval ou à Blainville. Le village s'est aussi enrichi d'un palais de justice et d'un hôpital en 2011. Il y a 4 ans, c'était un centre sportif de 18 millions $, chauffé à la géothermie, qui a ouvert ses portes.

Transferts

Les transferts représentent une somme de 40 000 $ par année par Cri. À titre de comparaison, la Commission royale d'enquête sur les peuples autochtones a calculé en 1992-1993 que l'ensemble des gouvernements au Canada dépensait en moyenne 10 026 $ par Canadien par année. Ajusté à l'inflation, ce montant serait équivalent à 13 914 $ en 2010.

Autre référence, le gouvernement du Québec remet moins de 2000 $ par personne pour les Innus et les Mohawks, tout aussi nombreux que les Cris.

Pourquoi un tel écart ? Québec a normalisé ses relations avec les Cris, les Inuits et les Naskapis en signant la Convention de la baie James et du Nord québécois et d'autres ententes depuis, dont la paix des Braves en 2002. En échange, ces premières nations ont mis un terme à leurs revendications territoriales. En vertu de ces ententes, Québec paie les services en santé, éducation, justice et police, tandis que le gouvernement canadien ramasse la note pour les autres premières nations.

Chaque Cri ne reçoit pas un chèque de 40 000 $ par année. L'argent passe par les institutions : commission scolaire crie, agence de santé, conseils de bande, qui embauchent des fonctionnaires.

« Le plus gros employeur à Mistissini, c'est la fonction publique crie », dit Richard Shecapio. On y trouve notamment des bureaux administratifs de la Commission scolaire crie et de l'agence de santé.

En Eeyou Itschee, nom du territoire cri de la Baie-James, le taux d'activité s'élève à 66,4 %, de quelques points inférieurs à celui du Québec à 72,5 %.

Réalité méconnue, les Cris disposent d'un revenu personnel disponible supérieur aux Québécois de 16 % en moyenne, d'après l'Institut de la statistique du Québec. Ce sont les commerces de la Jamésie qui profitent de cet important pouvoir d'achat. « Les autochtones sont nos meilleurs clients », soutiennent Sonia Maihot et Claude Rivard, propriétaires de la boutique Intersport, de la 3e rue, à Chibougamau.

Tout n'est pas rose

La moitié de la population crie âgée de 15 ans et plus n'a pas de diplôme d'études secondaires. L'occurrence de problèmes de santé comme le diabète y est élevée. Il y a pénurie de logements. La distribution de la richesse reste inéquitable. Le taux de familles en situation de faible revenu est près de trois fois plus élevé que dans l'ensemble du Québec.

Avec la fin des travaux sur l'Eastmain, le peuple autochtone de la Baie-James espère remplacer la manne hydroélectrique par la rente minière, Plan Nord oblige. Compte tenu de la croissance de la population, seulement à Mistissini, il faut créer 100 jobs par année pour maintenir le niveau d'emploi.

La politique minière crie invite les exploitants de mines à maximiser leurs retombées locales. Trois moyens sont retenus : l'embauche de travailleurs autochtones, la signature de contrats réservés aux entreprises cries et le paiement de redevances. La société Goldcorp a signé, les détails sont confidentiels. Stornoway, Strateco et autres négocient.

- Avec William Leclerc

QUELQUES ÉLÉMENTS DE COMPARAISON

Transferts gouvernementaux annuels aux 16 000 Cris du Québec: 645 M $

Budget 2011 de la ville de Gatineau (242 000 habitants): 463 M $

Budget 2011-2012 du ministère québécois des Ressources naturelles: 547 M $