L'avocat fiscaliste Jacques Matte en a plein les bras. Non seulement la Cour d'appel confirme-t-elle qu'il a participé à une fraude de plusieurs millions, mais un autre tribunal se penche sur les perquisitions dont il a fait l'objet dans une affaire de blanchiment d'argent.

La situation est à ce point préoccupante que le Barreau cherche des moyens exceptionnels pour freiner l'avocat avant la fin de l'enquête du syndic. Jacques Matte pratique depuis 36 ans. Malgré les événements, il conserve un dossier disciplinaire sans tache.

La semaine dernière, la Cour d'appel a avalisé le jugement de première instance et conclu que Jacques Matte avait aidé son client Denis Charron à perpétrer une fraude de 11 millions de dollars. La fraude a été commise au détriment du père de Denis, Claude Charron.

Essentiellement, le tandem a contracté un prêt hypothécaire de 11 millions sur deux immeubles du centre-ville de Montréal, en 2001, et transféré l'argent en Suisse. L'hypothèque a été obtenue grâce à la production de faux documents, ont conclu les juges. Les fonds ont été ramenés de la Suisse à Montréal par l'entremise du compte en fidéicommis de Jacques Matte, qui a bénéficié de 4 des 11 millions du prêt.

Les trois juges de la Cour d'appel condamnent Denis Charron et Jacques Matte à rembourser 16 millions aux entreprises de Claude Charron, le père, plus les intérêts depuis 2001. Le juge de première instance avait accordé 31,2 millions.

Les juges statuent également que les deux immeubles, soit le 400 et le 440, René-Lévesque Ouest, sont maintenant la propriété du créancier hypothécaire qui a prêté l'argent - et qui n'a pas été remboursé -, soit Manioli Investments. Manioli avait agi de bonne foi, selon les juges.

Ce n'est pas la première fois que Jacques Matte est montré du doigt pour production de faux documents. Dès 1997, son nom avait circulé en lien avec le scandale du Marché central, qui a fait perdre plusieurs millions de dollars à une communauté religieuse. En 2000, l'un des principaux instigateurs de cette fraude, Jean-Pierre Cantin, avait affirmé dans le cadre d'un témoignage sur la faillite du Marché que Jacques Matte avait participé à la production de plusieurs faux documents dans cette affaire. Ces faits n'avaient toutefois pas été prouvés en Cour.

Blanchiment

Par ailleurs, La Presse Affaires a appris que Jacques Matte avait fait l'objet de perquisitions de la Sûreté du Québec en 2009 dans une autre affaire, liée au blanchiment d'argent. Le dossier concerne l'un des clients de Jacques Matte, Ronald Chicoine.

Ce client a été arrêté par la SQ en mai 2010 dans le cadre du démantèlement d'un réseau de blanchiment et d'évasion fiscale. Ronald Chicoine, président de la firme de financement Speedo, était la tête dirigeante de l'organisation. LA SQ a gelé 48 millions de dollars de fonds dans cette opération, le plus gros blocage de son histoire. Essentiellement, le réseau de Ronald Chicoine envoyait des sommes provenant du crime organisé dans des sociétés coquilles en Europe, notamment en Suisse. La firme Speedo avait déjà été condamnée, en 2003, pour blanchiment. Ronald Chicoine et Speedo sont également devant les tribunaux depuis 2008 pour avoir participé à l'émission de 40 millions de dollars de fausses factures à des entreprises de construction.

En juin 2009, la SQ avait fait des perquisitions dans les bureaux de Jacques Matte, de la firme Matte Bouchard, de Westmount, de même qu'à sa résidence personnelle, à L'Île-des-Soeurs.

Selon un jugement en Cour supérieure, «les mandats de perquisition font suite à une enquête en matière de fraude et de recyclage des produits de la criminalité qui a commencé au début de 2008. L'enquête est menée par les policiers de la section d'enquête sur la criminalité financière organisée (SEFCO) de la SQ».

Les mandats étant scellés, La Presse Affaires n'a pu avoir accès aux dénonciations écrites de la SQ justifiant les perquisitions. Dans le jugement, il est question du client Ronald Chicoine.

Dans cette affaire, la Couronne tente d'avoir accès aux documents saisis, mais Jacques Matte fait valoir son droit au secret professionnel. Pour trancher le litige, le tribunal a nommé un avocat indépendant, en juillet, afin d'examiner les documents à huis clos et jauger entre le privilège de secret professionnel et la commission d'un crime.

Au Barreau, la porte-parole, France Bonneau, confirme que Jacques Matte fait l'objet d'une enquête disciplinaire, cela a été ébruité dans les médias en 2008. «Nous ne pouvons nous ingérer dans une enquête du syndic du Barreau, qui est totalement indépendant. Mais le Barreau est très préoccupé par le jugement de la Cour d'appel et a mis l'affaire à l'ordre du jour de son comité exécutif demain (aujourd'hui).»

Selon Mme Bonneau, le Code des professions accorde certains pouvoirs alternatifs de surveillance aux ordres professionnels qui permettent d'agir sans attendre la longue enquête d'un syndic.