Sherlock Holmes vous fixe de son regard pénétrant, un sourire narquois accroché aux lèvres.

Comme pour vous dire: oserez-vous acheter ce billet de loterie instantanée?

En un mois et demi, ce risque a été couru plus d'un million de fois: 70% des 1 750 000 billets imprimés par Loto-Québec ont été écoulés. Cette loterie, qui vise un public de 30 à 40 ans, a été lancée le 30 novembre dernier, au moment de la sortie du film.

Loto-Québec n'a pas été la seule à suivre cette filière.

Les sociétés de loterie de l'Ontario, de l'Ouest du pays, de l'Iowa, de la Californie, du Tennessee (entre autres!) ont elles aussi créé une loterie inspirée du film du même nom.

Pourquoi cet attrait? Le personnage est universellement connu, explique le porte-parole de Loto-Québec, Jean-Pierre Roy. «Les romans et nouvelles datent de la fin du XIXe siècle, dit-il, et depuis, à presque toutes les décennies, il y a eu des films ou des adaptations télévisées.»

De plus, le principe de l'enquête d'un limier se prête bien aux loteries à gratter. Loto-Québec a d'ailleurs repris la formule d'indices et de suspects de sa loterie de détective lancée environ un an auparavant.

Évidemment, des redevances, qu'on suppose substantielles mais qui ne sont pas dévoilées, doivent être versées au propriétaire des droits, MDI Entertainment. L'entreprise américaine se spécialise dans la commercialisation de jeux et de licences pour «l'industrie» de la loterie. Elle acquiert les droits de grandes marques et de symboles du divertissement - des jeux de société comme Monopoly, des véhicules comme Jeep, des organisations sportives comme la LNH.

MDI exerce un contrôle très serré sur les images utilisées. «Le choix est très restreint», insiste Jean-Pierre Roy. Ainsi, le billet de Loto-Québec et celui de la loterie ontarienne montrent les mêmes portraits de Holmes et Watson, sur un même arrière-plan verdâtre.

Ce n'est pas la première fois qu'un film est ainsi mis à profit. Une loterie instantanée sur le thème d'Indiana Jones avait été produite à l'occasion du quatrième opus de la série. Une autre est prévue à l'occasion du prochain Sex and the city. Aucun film québécois n'a eu cet honneur mais «ce n'est pas exclu», indique M. Roy. Seule la série télévisée Les Boys a fait l'objet d'un gratteux.

Loto-Québec maintient en permanence une offre de 12 à 15 loteries instantanées, dont seulement quatre demeurent sur le marché toute l'année. Elles procurent des revenus de 500 millions$ par année, soit 25% du chiffre d'affaires de Loto-Québec. Pour satisfaire cet appétit, des chefs de produits sont chargés de proposer des formules complètes: thème, graphisme, formule de jeu.

Distraction coûteuse

«Les gens y jouent surtout pour se détendre, pour se changer les idées, soutient Jean-Pierre Roy. Les gens s'amusent, c'est la principale raison.»

Six minutes de grattage pour les 4$ de la loterie Sherlock Holmes (test chronométré), c'est tout de même 40$ pour une heure de divertissement. Les deux heures du film coûtent 10$.

Personne n'est dupe: quelque intérêt qu'on puisse trouver au petit jeu, personne ne s'y adonnerait s'il n'y avait pas un gain à la clé. «Si c'était la distraction pure et simple qui était recherchée, les gens s'achèteraient des cahiers de mots croisés», lance Christian Jacques, professionnel de recherche au Centre québécois d'excellence pour la prévention et le traitement du jeu de l'Université Laval. «Le principal plaisir est certainement la possibilité de faire un gain. En deuxième lieu, il peut y avoir la façon dont la loterie est conçue, son design.»

Les loteries instantanées sont conçues pour produire des «quasi-succès», avec l'émotion qui y est associée. Par exemple, s'il faut découvrir trois symboles identiques pour gagner, on trouve plus souvent deux symboles semblables que si Loto-Machin avait laissé le pur hasard s'exprimer.

Comme toute forme de jeu, la loterie instantanée peut entraîner une dépendance. Au contraire d'une loterie hebdomadaire, «il y a une possibilité d'en acheter beaucoup, de retourner en acheter fréquemment», fait valoir le chercheur. Ce n'est cependant pas la catégorie la plus... hasardeuse. Selon une étude publiée en 2004, 2,2% des amateurs de loterie instantanée sont compulsifs ou à risque de le devenir, contre 8,4% pour les loteries quotidiennes, et 12,8% pour les loteries sportives.