En plus de créer un « dangereux précédent en démocratie », le prêt de 10 millions de dollars accordé au groupe de presse Groupe Capitales Médias (GCM) par le gouvernement Couillard est « illégal » et doit être invalidé par les tribunaux, soutient Québecor Média, qui a déposé hier une poursuite à cet effet en Cour supérieure.

Déjà très critique depuis plusieurs semaines à l'égard du prêt remboursable consenti à son compétiteur, le grand patron de Québecor, Pierre Karl Péladeau, n'a pas mâché ses mots hier, dénonçant dans un communiqué et sur Twitter un « prêt » du gouvernement Couillard accordé « quelques mois avant les élections » et qui relève de « l'arbitraire le plus total et du favoritisme le plus flagrant ».

Selon l'ex-chef du Parti québécois et PDG de Québecor, tout investissement de l'État pour soutenir la presse écrite doit être « exceptionnel, normé et appliqué de façon uniforme ». Or, le prêt de 10 millions accordé en décembre dernier à GCM pour soutenir la transition numérique des quotidiens régionaux Le Soleil, Le Droit, Le Quotidien, Le Nouvelliste, La Tribune et La Voix de l'Est est « abusif », puisque les critères ne sont ni établis ni connus, a-t-il plaidé.

Le géant québécois des télécommunications a ainsi déposé hier une requête en Cour supérieure contre le gouvernement du Québec pour annuler et invalider le décret du comité exécutif autorisant l'octroi du prêt par Investissement Québec, a indiqué Québecor dans un communiqué publié en fin d'après-midi. La poursuite n'était pas encore rendue publique hier au palais de justice de Montréal. Québecor n'a pas répondu à la demande de La Presse qui voulait en obtenir une copie. 

Notons que GCM n'est pas visé par la poursuite.

Dans sa requête, Québecor soutient que l'octroi de ce prêt de 10 millions de dollars est « illégal » et constitue un « abus de pouvoir » du gouvernement en vertu de l'article 19 de la Loi sur Investissement Québec. Cet article stipule qu'Investissement Québec - le bras financier du gouvernement - doit accorder une aide financière ponctuelle pour la réalisation de projets qui présentent un « intérêt économique important » pour le Québec.

« Or, le projet de transformation numérique de GCM ne présente ni l'envergure, ni le potentiel, ni les retombées nécessaires pour en faire un projet présentant un intérêt économique important pour le Québec. » - Extrait du communiqué de Québecor

« D'ailleurs, le fait que GCM ne soit pas en mesure d'exposer clairement les effets anticipés de cette transformation, comme le nombre d'emplois sauvés ou si la fermeture de journaux est à prévoir au terme de l'exercice, en est une manifestation probante », a expliqué Québecor dans son communiqué.

Ainsi, avance Québecor, Investissement Québec a accordé ce prêt au groupe de l'ex-ministre fédéral Martin Cauchon pour des « considérations autres que l'intérêt économique ». Toutefois, en décembre dernier, la ministre de l'Économie Dominique Anglade avait défendu la décision du gouvernement. « Le Groupe Capitales Médias, ce sont 400 emplois dans les régions du Québec, et sans notre aide, ils étaient menacés. Avant tout, nous prêtons à une entreprise », avait déclaré la ministre.

Patrick Taillon, professeur en droit administratif à l'Université Laval, s'interroge sur l'un des motifs choisis par Québecor pour demander l'annulation du décret gouvernemental. « C'est un recours qui va être intéressant à suivre et qui semble sérieux. Ce que je trouve un peu moins sérieux, c'est le motif qui touche à l'électoralisme, qui n'est pas un motif d'annulation de contrat en droit administratif. C'est une façon [pour Québecor] de colorer le dossier. L'important, c'est l'intérêt public de la décision du gouvernement. Le gouvernement doit agir à l'intérieur des balises de la loi-cadre. Le litige va se jouer sur l'appréciation discrétionnaire dont disposait le gouvernement du Québec et Investissement Québec au moment de la décision », analyse-t-il.

Le cabinet de la ministre Anglade, qui chapeaute Investissement Québec, a indiqué à La Presse qu'aucun commentaire ne serait formulé en raison des procédures judiciaires.

- Avec Vincent Brousseau-Pouliot, La Presse