Les pro-Brexit qualifient la Banque d'Angleterre de «malhonnête», les milieux économiques s'inquiètent de plus en plus et un nouveau sondage annonce une sortie de l'Union européenne : la tension atteignait de nouveaux sommets jeudi au Royaume-Uni à une semaine du référendum.

Ils étaient très attendus et ils sont arrivés comme une douche froide pour les partisans d'un maintien dans l'UE: publiés coup sur coup, les sondages Ipsos-Mori et Survation ont tous deux donné le camp du Brexit vainqueur, à 53% contre 47% pour le premier, à 52% contre 48% pour le second.

Si ces deux enquêtes, réalisées par téléphone, étaient autant guettés, c'est parce qu'ils pointaient jusque-là nettement en faveur d'un maintien dans l'UE.

Il y a un mois encore, Ipsos-Mori donnait le camp du «remain» (rester) vainqueur avec le score écrasant de 57% contre 43%.

«Le retournement de situation est sensationnel», a constaté le Evening Standard, qui a publié le sondage.

Le quotidien insiste toutefois sur le fait que «20% des sondés ont déclaré qu'ils pouvaient encore changer d'avis». Le sondage Survation englobe également 13% d'indécis.

Mais l'inquiétude s'installe, que ce soit dans les salles de marché de la City de Londres ou les couloirs de Bruxelles, même si le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker a estimé que l'Union européenne ne sera pas «en danger de mort» si le Brexit l'emporte.

«Il est très difficile pour nous aujourd'hui d'être optimistes, nous connaissons les derniers sondages», a commenté le président du Conseil européen Donald Tusk depuis Helsinki où il était en déplacement.

«Acte gratuit d'automutilation»

À Londres, la Banque d'Angleterre a rappelé qu'elle considérait le référendum comme le «plus gros risque immédiat» pour les marchés financiers britanniques et mondiaux.

Les foyers différeraient leurs dépenses de consommation et les entreprises leurs investissements, ce qui provoquerait une baisse de la demande de main-d'oeuvre et donc une hausse du chômage, a prévenu l'institution dans un communiqué accompagnant l'annonce d'un maintien de son taux directeur à 0,50%.

«Le taux de change de la livre continuerait de tomber, peut-être sévèrement». La trajectoire de la croissance serait «considérablement plus faible» et celle de l'inflation «particulièrement plus élevée», a ajouté la banque centrale.

La Bourse de Londres a de nouveau ouvert en baisse jeudi matin. Les positions des grandes banques britanniques étaient fragilisées et les gens se ruaient sur des valeurs refuges comme les obligations ou l'or.

«Abandonner la cause d'une réforme constructive d'une Europe, il est vrai imparfaite, serait plus que défaitiste. Ce serait un acte gratuit d'automutilation», a averti le Financial Times, le quotidien des affaires, qui s'est déclaré sans surprise jeudi en faveur d'un maintien dans l'UE.

Le gouvernement britannique continue, lui, de multiplier les mises en garde pour dissuader les électeurs d'opter pour un Brexit le 23 juin.

«Il n'y a plus de favori»

Le ministre des Finances, George Osborne, a affirmé mercredi qu'une sortie pourrait déclencher la mise en place d'un «budget d'urgence» qui entraînerait hausses d'impôts et réduction des dépenses pour compenser un trou de 38 milliards d'euros.

Le chancelier de l'Échiquier devait maintenir la pression lors de leur discours annuel devant la City jeudi soir.

Révoltés par les déclarations de M. Osborne, 65 députés conservateurs pro-Brexit l'ont accusé d'avoir ourdi un budget de «punition» en cas de sortie du bloc des 28, avertissant qu'ils s'y opposeraient.

Quatre poids lourds du parti conservateur, dont deux anciens ministres des Finances, ont dénoncé une «tentative ridicule et désespérée d'effrayer» les gens.

Norman Lamont, Nigel Lawson, Iain Duncan Smith et Michael Howard ont également accusé le Trésor britannique et la Banque d'Angleterre d'êtres «malhonnêtes» et de «colporter des prévisions faussées».

«Très inquiétant que la campagne du «leave» critique la Banque d'Angleterre, qui est indépendante. Nous devrions écouter les experts lorsqu'ils nous alertent sur les risques qui pèsent pour notre économie si nous quittons l'Union européenne», a aussitôt répliqué David Cameron sur Twitter.

Mais les sondeurs estiment de plus en plus que les incessantes mises en garde n'ont pas l'effet escompté. «J'ai l'impression que ça ne marche tout simplement pas», a souligné Damian Lyons Love, le directeur général de Survation.

«Jusqu'à ce matin, je considérais le camp du «remain» comme favori du référendum. Je pense désormais qu'il n'y a plus de favori», a déclaré John Curtice, expert en sondages, à la BBC.

Les banques centrales mondiales en alerte

(Benoit TOUSSAINT - FRANCFORT) - L'issue incertaine du référendum britannique et les risques de turbulences en cas de Brexit alarment les banques centrales: ils compliquent l'équation déjà très ardue que tentent de résoudre Fed, BCE, Banque du Japon et les autres pour dynamiser l'économie.

Lorsque les électeurs britanniques se prononceront le 23 juin sur le maintien de leur pays dans l'Union européenne, «il n'est pas exclu que les incertitudes et les turbulences se multiplient», a mis en garde jeudi le président de la Banque Nationale suisse (BNS) Thomas Jordan.

Le référendum est le «plus gros risque immédiat» pour les marchés financiers britanniques et mondiaux, a enfoncé le clou le même jour la Banque d'Angleterre.

La veille, la présidente de la Fed américaine, Janet Yellen, avait estimé qu'un Brexit pourrait «avoir des conséquences économiques et financières au niveau mondial». Le référendum est l'un des facteurs ayant poussé la Fed au statu quo mercredi.

Tout comme la Banque d'Angleterre qui a laissé jeudi son taux directeur inchangé. Et la Banque du Japon (BoJ) qui a maintenu en l'état sa politique monétaire, malgré le récent regain du yen qui pénalise la troisième économie mondiale.

La BCE a quant à elle rappelé jeudi qu'elle agirait «en utilisant tous les instruments à sa disposition» en cas de matérialisation des risques pour la stabilité des prix, parmi lesquels un Brexit figure en bonne place.

Turbulences boursières

«Il est clair que le référendum et les turbulences actuelles sur les marchés compliquent la situation des banques centrales», estime pour l'AFP Carsten Brzeski, chef économiste chez ING-Diba.

Depuis plusieurs années, les grandes banques centrales se démènent, en déversant des montagnes de liquidités dans le circuit financier et en abaissant les taux d'intérêt, pour soutenir une économie mondiale très fragile depuis la crise financière de 2008, et pour faire repartir les prix. Les résultats sont jusqu'à présent mitigés.

La perspective d'un Brexit et le climat de tensions sur les marchés, dans un contexte de ralentissement de la croissance mondiale, de chute des prix du pétrole et de conflits géopolitiques, n'aident pas.

Alors que les derniers sondages pointent de plus en plus vers un Brexit, les Bourses européennes accusent le coup. Francfort, Paris et Londres se sont repliées de plus de 3% depuis lundi. Sur le marché obligataire, l'emprunt allemand à 10 ans a vu son taux passer sous zéro cette semaine, signe d'une ruée sur ce placement refuge.

En cas de Brexit, «les marchés seraient à nouveau fragilisés, on pourrait assister à une chute du cours des actions et de l'euro, une fuite des investisseurs vers les placements sûrs et éventuellement à un durcissement des conditions de financement pour certains États de la zone euro», estime M. Brzeski, selon qui un Brexit «a incontestablement le potentiel pour déstabiliser l'économie européenne».

Nouvelles actions monétaires ?

Face à ces risques, la BCE a notamment demandé à voir les préparatifs des banques européennes à un possible Brexit et veut s'assurer que le système bancaire est préparé aux «vents contraires» qui pourraient souffler, a indiqué lundi la chef de la supervision bancaire européenne.

Pour autant, «si le Royaume-Uni vote en faveur d'une sortie de l'UE, il pourrait bien falloir quelques semaines avant que les grandes banques centrales ne soient en mesure de se faire une idée claire des implications de ce résultat», estime Ben May, économiste pour Oxford Economics.

Selon lui, les conséquences économiques pourraient être plus limitées que ne le craignent certains observateurs. «Beaucoup de choses vont dépendre de la réaction des marchés en cas de victoire des partisans du Brexit. Si ces réactions sont bénignes, alors les banques centrales seront à l'aise pour poursuivre le cours actuel de leurs politiques», ajoute M. May.

Mais en cas de fortes perturbations, il serait «vraisemblable que la Banque du Japon augmente encore ses mesures d'assouplissement monétaire», estime Christiane von Berg, de BayernLB.

La Fed pourrait quant à elle être tentée de reporter dans le temps la remontée de ses taux directeurs, anticipe M. Brzeski. Et pour la BCE, qui intervient directement sur les marchés, la semaine prochaine sera «très tendue», Brexit ou pas, pointe-t-il.

Photo AP

Les entreprises européennes tracassées mais pas affolées

(Juliette MICHEL - PARIS) - Les entreprises allemandes, françaises ou espagnoles s'émeuvent des conséquences d'un éventuel Brexit sur les contrats déjà passés, leur chaîne d'approvisionnement ou même le prix des glaces. Elles n'en ont pas pour autant préparé de vrai plan B.

Si les Britanniques optent le 23 juin pour une sortie de l'Union européenne, les possibles répercussions restent floues. La livre va-t-elle chuter ? Les barrières douanières vont-elles réapparaître ? Les normes réglementaires vont-elles être bouleversées ? Et quid du statut des travailleurs étrangers ?

Les patrons de quelques poids lourds du continent particulièrement actifs en Grande-Bretagne ont publiquement mis en garde contre ce saut dans l'inconnu.

«Nous ne sommes pas particulièrement inquiets sur l'impact à court terme et la réalité, c'est que nous ne savons pas à quoi ressemblerait la vie en dehors», a récemment noté le patron d'Airbus Group au Royaume-Uni, Paul Kahn. Mais les investissements futurs «iront-ils vers les opérations britanniques ou ailleurs ?"

Attention au prix des glaces Magnum, a averti pour sa part le patron du groupe néerlandais Unilever qui les produit, Paul Polman: un «oui» au Brexit pourrait rétablir des taxes à l'importation sur les produits laitiers.

Globalement, le géant de l'agroalimentaire et des cosmétiques estime, dans une lettre signée par ses quatre derniers patrons, qu'«Unilever au Royaume-Uni, avec son activité prospère, ses centres de recherche internationale, ses usines et sièges sociaux (...) serait affecté» si les Britanniques quittaient l'UE.

L'Allemand BMW, constructeur au Royaume-Uni des Rolls-Royce et des Mini, a aussi prévenu que les barrières douanières et les incertitudes sur les visas de travail pourraient entraver l'activité du groupe outre-manche.

Pour autant, a assuré son directeur des ventes, Ian Robertson, «nous ne réfléchissons pas à un plan B».

Groupe de travail depuis 2015

Selon un sondage effectué pour l'organisation patronale allemande BDI et le cabinet Deloitte, les deux tiers des entreprises allemandes ne sont en fait pas capables de prédire les conséquences d'un Brexit. Et seulement 29% d'entre elles ont pris des mesures.

Les groupes financiers établis dans la City se sont montrés les plus prévoyants.

Deustche Bank, dont la présence sur le sol britannique remonte à 1873, avait ainsi mis sur pied dès 2015 un groupe de travail chargé d'évaluer l'impact d'un Brexit.

«Dans nos activités quotidiennes, nous évaluons toujours les possibles impacts économiques sur le bilan, les liquidités, le capital», a souligné de son côté Josep Oliu, président de l'établissement espagnol Banco Sabadell, qui possède la banque de détail britannique TSB.

Peu d'entreprises acceptent toutefois de détailler leurs éventuels préparatifs par peur de froisser leurs clients et investisseurs, ou par attentisme.

Car si les Britanniques décident de sortir de l'UE, il faudra décider sous quelle forme: en restant dans l'espace économique européen (EEE) comme la Norvège, en nouant des accords bilatéraux comme la Suisse ou en faisant de l'UE un partenaire commercial comme un autre ? En fonction du scénario retenu, les discussions peuvent prendre plusieurs années.

«C'est difficile de se préparer pour un scénario sans précédent», relève Olivier Salesse, économiste au cabinet PwC. «Et quand les entreprises ne peuvent plus faire de "business plan" réaliste, qu'elles ne peuvent plus prévoir de chiffres, même mauvais, elles ne s'engagent pas».

Le cabinet Euler Hermes a quand même estimé qu'en cas de Brexit et en l'absence d'accord de libre-échange, les exportations de biens et services des pays de la zone euro vers le Royaume-Uni pourraient baisser de 23,5 milliards d'euros. Les secteurs les plus concernés seraient les services financiers, l'automobile, les machines et équipements, la chimie et l'agroalimentaire.

L'éventualité d'un Brexit n'a pas empêché Technip, fleuron du CAC 40, de domicilier à Londres le siège de la nouvelle entreprise qu'il va former avec l'américain FMC. Ni l'opérateur boursier Deutsche Börse de confirmer pour juillet son union avec son homologue britannique LSE.

Reste que tout le débat autour du Brexit, quelle qu'en soit l'issue, laissera des traces. «Il y a eu une entaille dans le contrat. Il y a eu une telle inquiétude que toutes les entreprises de la zone euro vont vouloir ajouter des clauses, en particulier sur les risques de changes», avance Jean-Paul Betbeze, conseiller économique chez Deloitte.

Et les investisseurs étrangers «vont sans doute avoir le réflexe de ne pas mettre tous leurs oeufs dans le même panier anglais et réaffecter éventuellement leurs investissements vers d'autres pays européens».

Photo archives AFP