Le Japon a commencé la reconstruction du nord-est du pays ravagé par le tremblement de terre et le tsunami de mars dernier. Les Japonais sont résilients et se relèveront de cette catastrophe. Mais il n'est pas certain que le pays pourra résister au vieillissement de sa population et au lent déclin de son économie, cet autre tsunami qui menace d'emporter JapanInc. Le Québec, qui suit de près le Japon sur la voie du vieillissement, a toutes les raisons de s'intéresser à ce qui se passe dans l'Empire.

Les couloirs sont mal éclairés dans le bel immeuble du ministère de l'Emploi, de la Santé et du Bien-être social, au coeur de Tokyo. On s'y dirige à tâtons. La pénurie d'électricité guette la capitale japonaise et le gouvernement donne l'exemple en réduisant sa consommation au minimum.

L'entrevue avec Kosuke Takeda, directeur adjoint du Ministère, a lieu près des fenêtres pour profiter de la lumière du jour. Pour les mêmes raisons d'économie d'électricité, le fonctionnaire a avec lui un éventail pour combattre la chaleur accablante de ce mois d'août.

Ça donne une atmosphère un peu lugubre et les nouvelles sur le front de l'emploi ne sont pas réjouissantes non plus.

Il y a de plus en plus de chômeurs au Japon. De vrais chômeurs comptabilisés dans les statistiques, soit 4,6% actuellement ou près de 3 millions de personnes, mais aussi de plus en plus de travailleurs à statut précaire, qu'on appelle ici du mot allemand «arbeit» ou encore «freeters». Des millions de personnes qui ne pourront pas compter sur les retraites qui viennent avec l'emploi à vie, une spécialité japonaise aujourd'hui en voie de disparition.

«Les entreprises japonaises ont l'habitude de recruter leurs employés avant la fin de leurs études universitaires, mais avec l'économie qui va mal, ce système est en train de s'effriter», explique M. Takeda.

Les jeunes n'ont plus le goût non plus de travailler 60 heures par semaine, comme leurs parents. Alors le nombre de jeunes inactifs, qui ne figurent nulle part dans les statistiques, est en augmentation. Les sans-abri, autre phénomène naguère rare au Japon, sont de plus en plus visibles dans les parcs de la capitale, cachés dans des tentes bleues.

Comparativement au marché du travail des autres pays industrialisés, celui du Japon n'a rien de catastrophique. Mais le chômage est un phénomène nouveau et très indésirable dans ce pays. D'ici 2017, il y aura 4 millions de travailleurs en moins, d'où la nécessité d'employer ceux qui sont encore en âge de travailler. Le chômage est aussi une calamité dans un pays qui a toujours glorifié le travail et qui a bâti à force de bras un empire économique devenu l'envie du monde entier.

Aujourd'hui, Japan Inc. ne fait plus l'envie de personne. La hausse du taux de chômage n'est qu'un des problèmes auxquels il fait face.

Le pays manquera de travailleurs pour faire rouler son économie qui repose sur la consommation et l'exportation. Il manquera surtout de contribuables pour payer les retraites des plus de 65 ans dont le nombre croît à la vitesse grand V.

Le Japon est le plus vieux pays du monde. Le quart de sa population a actuellement plus de 65 ans. Comme les Québécois, les Japonais ne font plus d'enfants, si bien que le pays a commencé à se dépeupler en 2005. Dans moins de 40 ans, la population du Japon aura baissé de 30%, de 120 à 90 millions d'habitants, comme en 1955.

La lente disparition du marché intérieur commence déjà à affecter la formidable machine économique japonaise. Pour la première fois cette année, aucune entreprise japonaise ne figure au classement des 50 vedettes économiques de l'Asie du magazine Forbes.

L'économie fait du surplace. Depuis 20 ans, le pays est aux prises avec une croissance anémique et une déflation qui minent la confiance des consommateurs. La Chine en a profité pour détrôner le Japon au rang de deuxième économie mondiale. La Corée du Sud, en quatrième place, a réduit l'écart qui la sépare de la troisième.

Dur pour Japan Inc.

Le gouvernement s'endette chaque jour davantage pour soigner et faire vivre cette population vieillissante.

Les agences de crédit s'inquiètent et récemment, Moody's a réduit d'un cran la note de crédit du Japon. C'est la deuxième décote du Japon depuis 10 ans. La note de crédit du Japon est maintenant inférieure à celle du Québec. Après avoir si longtemps fait envie, c'est dur de faire pitié.

«Le monde entier surveille maintenant ce que le Japon va devenir», soupire Goro Fukushima, le porte-parole de Keidanren, l'organisation patronale qui regroupe tous les gros canons de l'économie japonaise comme Toyota, Hitachi et les autres.

Dans les missions économiques internationales, le Conseil du patronat japonais avait l'habitude de prodiguer ses recettes à des pairs jaloux de son succès. Il doit maintenant regarder ce que les autres font. «Nous sommes passés de l'autre côté de la table», reconnaît M. Fukushima.

Il n'y a ni lumière diffuse ni climatisation au ralenti dans l'antre luxueux du patronat japonais, situé près de la gare de Tokyo. Mais la même morosité est au rendez-vous.

«Il n'y a encore aucun plan crédible de la part du gouvernement pour remettre le pays sur la voie de la croissance», déplore le représentant patronal.

Le succès du Japon est basé sur trois choses, explique-t-il: la qualité de sa main-d'oeuvre, l'abondance de capital et la capacité d'innovation. La main-d'oeuvre n'est plus un atout avec le vieillissement de la population, mais avec le capital et l'innovation, le pays peut encore s'en tirer. «À condition que le gouvernement fasse quelque chose pour améliorer le climat d'affaires.»

Le patronat, au Japon comme partout ailleurs dans le monde, croit aux mêmes solutions. Tous les problèmes actuels du Japon pourraient être résolus avec une croissance économique d'au moins 3% par année, selon le porte-parole de Keidanren.

Pour atteindre cet objectif, il faut réduire l'impôt des entreprises et rendre le marché du travail plus flexible, dit Goro Fukushima. Et il faut surtout arrêter de demander aux entreprises de respecter des règles environnementales plus sévères que celles des concurrents, comme la Chine et la Corée.

«Si le gouvernement ne bouge pas dans ce sens, les entreprises japonaises n'auront pas le choix de quitter le pays», soutient-il.

Cette perspective ne semble pas inquiéter beaucoup la jeune génération, constate-t-il avec inquiétude. Elle devrait s'inquiéter, pourtant, parce qu'il y a de moins en moins de travailleurs pour supporter le nombre croissant de retraités.

«Les 20-30 ans ne veulent plus travailler comme leurs parents. Mais ils ne ressentent pas non plus la nécessité de changer les choses. Pourtant, si rien ne change, l'avenir de ces jeunes est très sombre.»

Les salariés japonais, employés à vie par la même entreprise, sont une espèce en voie de disparition.