«L'argent sale nuit au jeu.» Ces mots, prononcés en 2006 par le directeur des communications de l'Union européenne des associations de football (UEFA), représentent bien la crainte qu'ont les autorités du monde du soccer de voir leur sport infesté par des activités illicites comme le blanchiment d'argent.

Un nouveau rapport du Groupe d'action financière (GAFI), un organisme intergouvernemental voué à la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, cible la planète soccer en tant que secteur particulièrement vulnérable au blanchiment et autres activités illicites.

Achats et ventes de clubs, mirobolants transferts de joueurs internationaux, commandites et droits d'images: l'argent circule constamment et en grande quantité dans le monde du soccer, en Europe ou ailleurs.

«Il y a davantage qu'une preuve anecdotique indiquant que la variété de sources d'argent et de transactions financières peuvent accroître le risque de blanchiment dans le secteur du soccer», écrit le GAFI, tout en précisant que les autres sports ont aussi leur vulnérabilité.

Reste que le soccer est le sport le plus répandu dans le monde avec 265 millions de joueurs et environ 301 000 clubs. La taille du seul marché européen du soccer est estimée à plus de 22 milliards canadiens.

Beaucoup d'argent en jeu

L'industrie du soccer a, selon le GAFI, plusieurs attraits aux yeux des criminels qui désirent blanchir de l'argent.

L'administration de plusieurs clubs mineurs manque encore de professionnalisme, les clubs sont souvent faciles à acquérir et la complexité des réseaux de personnes engagées dans le sport rend les choses opaques et facilite la dissimulation. L'argent entre et sort du secteur, parfois en transitant par des paradis fiscaux.

Les clubs en difficulté financière sont d'autant plus vulnérables qu'une «seule défaite peut avoir d'énormes conséquences financières» et qu'ils sont prêts à accepter de l'argent frais sans trop poser de questions.

«Cette fragilité financière peut être exacerbée par la récente crise financière mondiale, qui a rendu plus difficile la recherche de commanditaires», lit-on dans le rapport.

Le GAFI cite plusieurs histoires véridiques (sans toutefois identifier les individus ou les clubs) où des propriétaires ou des investisseurs ont tenté, avec ou sans succès, d'engager dans un club des fonds de provenance douteuse.

Au Mexique, par exemple, le nouveau propriétaire d'un club de troisième division a déménagé l'équipe dans une petite ville où tout laissait croire que l'aventure ne serait pas rentable.

Des salaires beaucoup plus élevés que la moyenne et des nouvelles infrastructures (et l'appui de soi-disant commanditaires) ont propulsé le club en deuxième division. Le propriétaire était à la tête d'un important réseau de trafic de drogue.

Avec les salaires galopants consentis sur le marché des transferts (dans l'espoir de profits généreux dans le futur), il s'est installé une certaine tolérance par rapport aux sommes «d'apparence irrationnelle» qui surgissent çà et là sur la planète soccer.

Le marché des transferts, manquant souvent de transparence, offre aussi un potentiel pour blanchir de l'argent, notamment par la surévaluation de joueurs (pour transférer plus d'argent dans la transaction). Le système des transferts, basé sur la compensation financière du club acheteur au club vendeur, rend en ce sens le soccer plus vulnérable que d'autres sports professionnels.

»Compliqué et risqué»

Selon Guillermo Aureano, chercheur associé au Groupe d'étude et de recherche sur la sécurité internationale (GERSI) à l'Université de Montréal, «la question du blanchiment dans les sports n'est pas nouvelle».

Sauf qu'il prend le rapport du GAFI avec un grain de sel. «On peut trouver des risques partout, mais il est difficile de mesurer ce risque», dit-il.

«En publiant ce genre de document, on oublie que le crime organisé ne produit pas suffisamment d'argent pour que ce soit intéressant de se mêler de systèmes de blanchiment aussi compliqués et aussi risqués», ajoute-t-il.

Mais les autorités considèrent tout de même le problème.

En 2005, la FIFA a pour la première fois fait référence au phénomène de blanchiment d'argent. En 2007, le Parlement européen a voté une résolution demandant au Conseil de l'Union européenne de combattre les activités criminelles reliées au soccer, dont le blanchiment.

En septembre 2010, un nouveau système de suivi des transferts internationaux permettra de voir d'où vient l'argent impliqué, et où il va.