Lorsque l'Espagne affichait une croissance économique record, les immigrants étaient vus comme pain bénit pour le pays.

Le premier ministre socialiste, José Luis Rodríguez Zapatero, parlait d'un échange «gagnant-gagnant»: les entreprises avaient accès à des travailleurs motivés, eux-mêmes trop heureux de pouvoir refaire leur vie sur le continent européen.

 

L'effondrement de la bulle immobilière et du secteur de la construction, qui employait une part substantielle des nouveaux venus, a entraîné un changement d'approche radical.

Invoquant l'ampleur de la crise, le gouvernement a annoncé à l'automne un nouveau programme destiné à permettre aux immigrés sans emploi qui ne sont pas des ressortissants européens de retourner dans leur pays d'origine.

Ceux qui acceptent l'offre peuvent recevoir en un versement les indemnités auxquelles ils ont droit en vertu du régime d'assurance chômage. En contrepartie de la somme, qui peut totaliser quelque 10 000, ils doivent renoncer à leur permis de travail et s'engager à ne pas revenir en Espagne avant trois ans.

Le ministre de l'Immigration et du Travail, Celestino Corbacho, a annoncé initialement qu'il s'attendait à ce que le quart des quatre millions d'immigrés que compte officiellement le pays sautent sur l'occasion. Mais il a depuis révisé ce chiffre plusieurs fois à la baisse, car les principaux intéressés boudent l'offre gouvernementale. Aux dernières nouvelles, un millier à peine l'avaient acceptée.

Cette défiance n'est pas sans lien avec la position des associations de défense des immigrés, qui acceptent mal le changement de cap de l'État espagnol.

«Ils traitent les immigrés comme de la main-d'oeuvre à bon marché au lieu de les reconnaître comme des êtres humains à part entière», dénonce Raúl Jiménez Zavala, porte-parole de l'association hispano-équatorienne Ruminahui.

Pour beaucoup d'immigrés, dit-il, les sommes avancées ne revêtent pas beaucoup d'intérêt puisqu'elles risquent d'être largement absorbées par le coût du retour au pays ou le règlement des dettes qu'ils ont accumulées.

Beaucoup de personnes ont quitté leur pays dans l'espoir de trouver une vie meilleure et n'ont aucun intérêt à retourner dans des zones où la situation économique demeure difficile, souligne M. Zavala, qui a lui-même quitté l'Équateur il y a 10 ans.

Le programme du gouvernement, déplore le porte-parole, est d'autant plus déplorable qu'il a pour effet de stigmatiser les immigrés.

«Les gens pensent que l'État doit payer pour le programme de retour alors qu'il s'agit d'indemnisations pour lesquelles les gens ont travaillé», indique M. Jiménez.

La situation économique des immigrés, relève-t-il, va empirer dans les mois qui viennent, lorsque les indemnités de chômage arriveront à leur terme. Leurs difficultés s'étalent déjà au grand jour, parfois de manière inusitée.

La semaine dernière, les médias locaux ont fait grand cas de l'intervention d'un homme d'origine équatorienne qui s'est interposé face à un forcené qui cherchait à poignarder son ex-conjointe dans les rues de Madrid.

Loin de pavoiser, le héros du jour a souligné qu'il était surtout préoccupé par le fait qu'il n'avait pas d'argent pour payer son prochain loyer, lui et sa femme se trouvant sans emploi depuis plusieurs mois.

«Les choses se sont sensiblement détériorées en Espagne et elles ne peuvent qu'empirer», a-t-il déclaré.