L'entrée en vigueur du rôle d'évaluation 2011-2013 dans l'île de Montréal entraîne un déplacement du fardeau fiscal des propriétaires d'appartements en copropriété vers les propriétaires de petits immeubles locatifs qui ont la possibilité de refiler la hausse d'impôt foncier à leurs locataires en augmentant les loyers.

Les propriétaires de condos sont généralement plus nantis que les locataires.

Cette iniquité se vit différemment selon les villes et arrondissements. Elle est particulièrement aiguë à Verdun.

L'impôt foncier de nombreux condos de luxe de L'Île-des-Soeurs est en baisse, tandis que celui des duplex et triplex des quartiers populaires de Wellington-De-l'Église et de Desmarchais-Crawford augmente de 6% en moyenne en 2011.

Les hausses varient de 105$ à 381,52$ par immeuble en 2011, dans les neuf avis d'imposition de «plex» (deux à cinq logements) donnés en exemple par l'arrondissement.

Un ménage gagne en moyenne trois fois plus d'argent dans L'Île-des-Soeurs que dans le quartier Wellington-De-l'Église, composé à 45% de ménages à faibles revenus.

Selon les données du recensement de 2006, les ménages disposaient d'un revenu moyen de 36 350$ dans le quartier où se trouvent les stations de métro LaSalle, Verdun et De l'Église, comparativement à un revenu moyen de 110 128$ à L'Île-des-Soeurs.

Hausses de loyer à prévoir

Accablés de hausses d'impôt, les propriétaires de plex seront tentés de refiler la note à leurs locataires au renouvellement du bail le 1er juillet prochain, comme le leur permet la Régie du logement, instance de contrôle des loyers au Québec.

En cas de désaccord sur l'augmentation entre le propriétaire et le locataire, le propriétaire s'adresse à la Régie pour fixer le loyer.

«Si le propriétaire se présente avec son compte de taxes 2011 devant la Régie, le régisseur n'a pas le choix, il doit appliquer la hausse de taxe au loyer au prorata», dit Jean-Pierre Leblanc, porte-parole de la Régie. En gros, si le logement contribue à 25% des revenus de l'immeuble locatif, son locataire assumera 25% de la hausse de l'impôt foncier.

Hans Brouillette, porte-parole de la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ), rappelle toutefois que ce scénario reste théorique. «Certains propriétaires hésiteront à payer 66$, ce que coûte au propriétaire une demande de fixation à la Régie, pour obtenir une augmentation de 50$ par année.»

Locataires victimes du boom

Pour France Émond, porte-parole du Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec, il faudrait revoir les règles de fixation de loyer en période de bulle immobilière.

«Les locataires font les frais de la surchauffe dans le marché immobilier. Comme c'est le propriétaire qui profite de la surchauffe avec l'augmentation de la valeur de son immeuble, il devrait assumer une partie de la facture fiscale sans pouvoir la transférer en totalité aux locataires», dit-elle.

Selon les règles de fixation de loyer de la Régie, une hausse de l'impôt d'un immeuble locatif de 5% se traduit généralement par une hausse de loyer de 0,7 à 0,9%.

Pour un loyer mensuel de 600$, il s'agit d'une hausse de 4,20$ à 5,40$ par mois. Chaque cas est toutefois unique.

La situation à Verdun résulte de la variation des valeurs foncières au rôle d'évaluation. Les plex, dont la valeur marchande a bondi depuis 2005, date de référence du rôle précédent, sont concentrés à Verdun terre ferme, tandis que les copropriétés constituent la moitié du parc résidentiel de L'Île-des-Soeurs.

Comme le taux de taxation est sensiblement le même pour les immeubles résidentiels d'un à six logements, les contribuables, dont la valeur de la propriété a augmenté plus que la moyenne, subissent une plus forte hausse d'impôt, alors que ceux dont la valeur a moins augmenté que la moyenne profitent d'une plus faible hausse, voire d'une baisse d'impôt.

Le même phénomène s'était produit avec le rôle 2007-2010.

En 2011, le tiers des immeubles résidentiels de L'Île-des-Soeurs, soit 3491 immeubles, en forte majorité des appartements en copropriété, connaissent une baisse d'impôt. Sur Verdun terre ferme, c'est le cas de 225 immeubles seulement.

Par ailleurs, près de 4000 immeubles de Verdun situés dans l'île de Montréal subissent une hausse du fardeau fiscal de 5 à 10%. Ce sont en grande majorité des propriétaires de plex. Seulement 277 immeubles de L'Île-des-Soeurs connaîtront une hausse d'impôt supérieure à 5% en 2001. Il s'agit, dans ce cas, de terrains et d'autres bâtiments secondaires.

Les autorités de l'arrondissement sont bien conscientes du phénomène. «L'effet du rôle fait croître de façon non uniforme la valeur des propriétés dans certains secteurs et entraîne des déplacements fiscaux», a expliqué le maire de Verdun, Claude Trudel, dans un communiqué en décembre.

Au téléphone, le directeur de l'arrondissement de Verdun, Gilles Baril, rappelle que les plex ont bénéficié de l'effet inverse de 2001 à 2007, période pendant laquelle le prix des plex a augmenté moins vite que celui des condos. «En dollars constants, un propriétaire de plex payait plus cher de taxes en 1994 qu'aujourd'hui», soutient-il.

Baisse d'impôt: 1 condo sur 8

Ce transfert du fardeau fiscal des condos vers les plex se vit ailleurs à Montréal pour les mêmes raisons qu'à Verdun. Selon les données de la Ville, 26 100 propriétés connaîtront une baisse d'impôt en 2011, dont 12 017 condos, soit 13% des appartements en copropriété de la ville ou un condo sur huit.

Moins chanceux, les propriétaires de 232 700 foyers absorberont une hausse d'impôt de 2,5 à 10%, dont environ un peu moins de la moitié seront des propriétaires de petits immeubles locatifs.

Sur le Plateau, la hausse moyenne de l'impôt sur les plex, 5%, est deux fois plus élevée que celle sur les condos, de 2,5%.

Dans le Sud-Ouest, l'impôt sur les duplex et triplex grimpe de 8,2% cette année, et celui des condos, de 4,7%.