Dans le bureau d'Ugo Dionne, il y a un banc de l'ancien forum autographié par Henri Richard. Des piles de dossiers sur la formation en informatique. Des photos d'enfants beaux comme des coeurs qui font des grimaces à leur papa. Et un écran d'ordinateur où, d'un coup d'oeil indiscret, on aperçoit un titre intrigant: «projet de poésie québécoise». Voilà l'univers d'Ugo Dionne, un homme capable de vous parler autant de flux monétaire que du groupe montréalais Arcade Fire, en passant par quelques analyses enthousiastes sur les vers de Gaston Miron ou même la théorie du bonheur (qui passe, sachez-le, par l'implication bénévole).

Le tout, évidemment, en une heure d'entrevue.

«Je fonctionne par flashs, il n'y a pas nécessairement beaucoup de réflexion», explique l'homme de 39 ans pour justifier sa feuille de route.

Par où commencer? Il y a d'abord Ugo Dionne l'homme d'affaires, président de Synesis-Versalys Formation, qui s'est taillé une place dans la cuvée 2007 des «40 Canadiens performants de moins de 40 ans» de la firme Caldwell.

Cette carrière, comme bien d'autres aspects de la vie de M. Dionne, est apparue à moitié par hasard, à moitié à cause de cette volonté du principal intéressé «d'aller au bout de ce qui se présente».

Revenons en arrière. Ugo Dionne a 27 ans et travaille comme avocat dans un cabinet quand l'une de ses amies insiste pour qu'il rencontre une connaissance.

La connaissance en question, Doug Wiseman, s'avère être un diplômé en relations industrielles de 25 ans sans emploi qui rêve d'acheter une entreprise. M. Dionne choisit de l'écouter. Et est loin d'être fermé à ce qu'il entend.

Les deux hommes identifient rapidement une cible potentielle: une entreprise de formation en informatique lancée par un couple qui cherche à s'en départir.

M. Wiseman a quelques économies de son côté. Ugo Dionne met les siennes en jeu. Les deux hommes empruntent le reste à la banque et sautent.

«On s'est dit: go, on y va, raconte Ugo Dionne. On a fait l'offre d'achat sur l'entreprise six semaines après notre première rencontre. Et là, évidemment, tu as tous les gens de ton entourage qui te disent: what the fuck, qu'est-ce que tu fais là? Et c'est qui, de toute façon, ce gars-là?»

Il faudra une demi-année pour que M. Dionne et son partenaire mettent la main sur Synesis. «Pendant ces six mois, j'ai fait un double due-diligence, dit Ugo Dionne. Un sur la compagnie que j'allais acheter. Et un sur le gars avec qui j'allais l'acheter.»

«On était verts, complètement, lance M. Dionne en racontant leurs débuts. Mais ce n'était pas une compagnie trop difficile à gérer.»

Synesis offre des cours d'informatique aux employés de diverses entreprises et compte déjà des clients de la trempe d'Ericsson, Videotron et Nortel - «à l'époque où Nortel n'était pas une PME», précise Ugo Dionne. Le plan de match des deux acolytes est simple: faire grandir la société.

«Dans l'industrie, il y a eu quelques soubresauts, et on en a profité pour faire l'acquisition de quelques compétiteurs», explique M. Dionne. La grosse bouchée vient en 2007, quand Synesis avale son principal concurrent, Versalys, une entreprise de taille comparable à la sienne.

Aujourd'hui, ce qui s'appelle Synesis-Versalys compte 125 employés et 30 salles de formation dans quatre succursales au Québec, en plus de compter sur un partenariat avec TrainCanada pour décrocher des contrats à l'échelle du pays.

L'an dernier, Synesis-Versalys a formé 24 000 employés autant en technologies de l'information qu'en gestion de projets ou en langue des affaires.

Le prochain grand coup? «On est en mode acquisition pour une firme qui développe de la formation en ligne», révèle M. Dionne, qui croit que sa clientèle est mûre pour embrasser les nouvelles technologies.

Bénévolat, culture et poésie

Mais Synesis-Versalys est loin d'être la seule chose qui occupe les pensées d'Ugo Dionne. L'homme est aussi cofondateur de Bénévoles d'affaires, un organisme qui envoie les gens d'affaires donner un coup de pouce dans des organismes communautaires et culturels.

L'idée lui vient quand la Jeune chambre de commerce de Montréal, dont M. Dionne a été président, organise un événement avec le Regroupement des magasins-partage.

«J'ai vu les gens en jeans et en t-shirt, et il n'y avait pas la même relation que dans un cocktail-5-à-7-veston-cravate où c'est guindé. Les gens étaient eux-mêmes et ils avaient du fun. J'ai compris qu'on avait le meilleur des deux mondes. On a des relations humaines de qualité qui se bâtissent et on a du monde qui en bénéficie au bout de la ligne.»

La réflexion progresse si bien qu'en novembre 2006, Ugo Dionne lance Bénévoles d'affaires avec Marie-Pierre Dufort, aussi de la Jeune chambre de commerce.

L'idée est simple: faire s'impliquer les gens d'affaires dans les organismes où leurs compétences seront utiles... mais aussi là où ils auront du plaisir.

«C'est comme les agences de rencontres amoureuses», dit M. Dionne, qui soutient dur comme fer que les gens d'affaires retirent autant de l'expérience que les organismes.

«Aux États-Unis, c'est extrêmement valorisé. Les entreprises ont compris que les employés développaient leur leadership et augmentaient leurs compétences en s'impliquant bénévolement. Tu gères des projets, tu joins des conseils d'administration, tu vois comment ça se passe...»

Mais Bénévoles d'affaires est aujourd'hui victime de sa popularité: les demandes excèdent la capacité à y répondre de ses deux seuls employés.

«Il nous faudrait deux employés de plus. Mais pour ça, il faut du financement», explique M. Dionne, qui lance un appel à tous.

Envoyer des gens d'affaires là où ils vont s'amuser et être utiles: ce principe, Ugo Dionne l'a appliqué à lui-même. Depuis 2009, il est membre du conseil d'administration de Culture Montréal - une tâche qui, visiblement, l'allume.

«À Montréal, on est très bon pour regarder les irritants, et c'est correct. Sauf que prends les pages culturelles des journaux et regarde l'offre qu'on a. Opéra, théâtres, orchestre symphonique, musique indépendante... C'est vraiment débile.»

Et ce «projet de poésie québécoise» affiché à l'écran? M. Dionne sourit. Il raconte que cette fois, l'idée a surgi en écoutant le disque «Douze hommes rapaillés chantent Miron», où des chanteurs québécois rendent hommage à l'un de nos grands poètes.

«Je n'avais jamais accroché sur Miron. Sauf que j'ai vraiment, mais vraiment trippé en entendant le disque. J'ai dû l'écouter mille fois. J'ai vu le show...»

Sa révélation: on plonge beaucoup plus facilement dans la poésie en écoutant à répétition des grandes voix la réciter qu'avec un bouquin qu'on parcourt souvent trop vite, une seule fois, sans prendre le temps d'assimiler les vers.

«Je me suis rendu compte qu'on a une poésie extraordinaire au Québec qu'on ne connaît absolument pas. Et je me suis dit que si c'était lu par des acteurs et des actrices québécoises et que c'était disponible sur le web, en podcast, en mp3...»

Bref, un autre projet pour un homme qui n'en manque pourtant pas.