Il avoue lui-même ne pas être aussi flamboyant que Monique Jérôme-Forget. Dans cette première longue entrevue accordée depuis sa promotion comme ministre des Finances, Raymond Bachand évite en effet les formules-chocs chères à sa prédécesseure. Il donne plutôt l'impression d'un homme studieux, parfois difficile à suivre tellement les dossiers sont nombreux. Étourdissant, le ministre Bachand.

«Ma fille me dit que je parle vite.»

Quarante-cinq minutes dans le bureau de Raymond Bachand, et la tête vous tourne. Le ministre a beau dire qu'il limite sa consommation de café à un, parfois deux, allongés par jour, l'homme a l'air de carburer à la caféine. À moins que ce ne soit le caractère grisant de ce pouvoir accru...

 

Chose certaine, on est à des années-lumière de l'image répandue de fonctionnaire terne - Jean-René Dufort a même dit de lui à la télé qu'il était «plate».

L'entrevue, déjà retardée de 15 minutes, commence enfin jeudi midi, avec une demi-heure de retard additionnelle. Personne n'est encore assis que Raymond Bachand a déjà commencé à parler de l'aide que Québec pourrait accorder à AbitibiBowater, en y allant de détails sur «leur compte client titrisé avec CitiCorp», les «cash-flows positifs», agrémentés des différences entre les lois canadienne et américaine sur les faillites. Une maîtrise des détails telle qu'il donne l'impression de pouvoir écrire lui-même l'entente avec la forestière en difficulté.

Puis, au milieu de l'entretien, il se lève, va chercher des documents sur l'innovation au Québec. Il nous présente aussi son discours d'octobre 2005, quand il a annoncé sa candidature dans la circonscription d'Outremont. Puis, il sort de sa poche une citation de Gandhi, glanée lors d'une mission économique en Inde.

Ouf!

«Je travaillais 70, 75 heures par semaine, c'est difficile d'en ajouter», dit-il de sa nouvelle charge de travail - ministre des Finances -, qui s'ajoute à celle du Développement économique, de l'Innovation et de l'Exportation.

«Être ministre du Développement économique, c'était un «naturel»», dit celui qui a dirigé le Fonds de solidarité FTQ de 1996 à 2001, après avoir fait du développement des affaires chez Metro-Richelieu dans les années 80, époque du lancement en Bourse de l'entreprise. «Mon métier, c'est un métier de développeur.»

Raymond Bachand a été membre du Parti québécois pendant 15 ans. Il a travaillé aux cabinets de René Lévesque et de Pierre Marc Johnson et, comme Bernard Landry sous Lucien Bouchard, il est devenu LE ministre par qui passent les décisions économiques. «On est à un moment où c'est très cohérent de faire l'un avec l'autre.»

Cohérent, à cause de la récession, dit-il. «Moi, je n'ai qu'un objectif cette année, c'est que nos bonnes entreprises restent en vie et qu'on puisse retrouver nos jobs après.»

D'ailleurs, pendant qu'il nous parle, le grand patron de la Caisse de dépôt, Michael Sabia, discute avec des dirigeants du Fonds de solidarité FTQ, dans le bureau d'à côté. Ils tentent de s'entendre sur la manière de mettre sur pied le fonds conjoint de 825 millions annoncé dans le dernier budget pour aider les entreprises du secteur des technologies.

«Il y a des questions de convention d'actionnaires à régler... Ça se règle sans moi. Des fois, juste de mettre le monde ensemble, ça met une pression pour que les choses se règlent.»

Landry ou Jérôme-Forget?

À l'entendre parler de développement économique dans ses moindres détails comme d'autres vous racontent les meilleurs jeux du premier match Canadien-Bruins, l'image d'un autre ministre nous vient en tête. L'homme de 61 ans assis derrière son bureau fait beaucoup plus penser à Bernard Landry qu'à son prédécesseur à la célèbre sacoche.

Quand on lui passe la remarque, Raymond Bachand a une très rare hésitation. «Je n'ai pas de commentaire sur ça. Moi, je suis au Parti libéral et je pense que je suis plus proche de Monique dans plusieurs dimensions.»

C'est l'occasion pour lui d'y aller d'une série de remarques sur le travail des journalistes et le rôle des médias, au grand dam de son attachée de presse. «Pour vous autres (en parlant des journalistes), il faut que ce soit simple, il faut faire une image.»

La Dame de fer avait appris à jouer le jeu, en y allant d'images fortes. Son successeur a de toute évidence compris le fonctionnement de la joute politique par médias interposés. Compris, mais pas maîtrisé au point d'être capable de s'en servir à son avantage.

Le docteur en administration de Harvard a besoin de temps pour expliquer des idées complexes. «La politique, ça fait juste trois ans que je suis là-dedans, mais j'ai décidé qu'on était capable d'être nuancé, capable d'expliquer des choses qui sont complexes. Je ne dis pas que Monique ne le faisait pas... Mais moi, c'est ce que je me suis dit que j'essaierais de faire.»

Il admet du même souffle que c'est «très compliqué». «Combien de fois as-tu 10 minutes à la télévision pour parler de quelque chose? Quand tu as plus qu'une minute, c'est bon.»

C'est vrai que, quand on a passé le week-end de Pâques à éplucher le contenu de trois gros porte-documents noirs comme ceux qui sont encore à la porte de son bureau, on peut trouver frustrant de devoir tout résumer en une minute.

 

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Raymond Bachand sur... 

blank_page... la pénurie de main-d'oeuvre

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«Je vois ça comme un défi: c'est une occasion de choisir les secteurs et les jobs où nos enfants vont avoir des emplois payants, intéressants, compétitifs à long terme dans la mondialisation.»

... les pertes de 261 millions de la SGF

«La SGF a perdu des sous sur un vieux portefeuille quand même. Il y a trois placements qui étaient là depuis fort longtemps, qui expliquent 80% des pertes.»

... les crédits d'impôt aux régions ressources, décriés par des entrepreneurs d'autres régions

«On a réglé une partie avec des phasing out (retraits progressifs) sur les crédits sur les salaires vers un crédit sur l'investissement. (...) Mais ça va reprendre, ce débat-là. Il est compliqué à régler. Robert Dutil est en train de regarder ça.»

... le rôle de l'État dans l'économie

«Il ne faut juste pas déraper dans les subventions aux entreprises. Moi, je surveille l'Europe. Si tout le monde se met à déraper dans les subventions aux entreprises, là, le monde entier est en danger.»

... les alumineries

«L'autre grand débat, c'est l'énergie. Qu'est-ce qu'on fait avec nos alumineries? Il y a d'autres projets d'alumineries. Parce que le Québec est une terre fertile pour ça. Il y a des endroits dans le monde où ils ont de meilleurs prix de l'énergie que nous autres. Donc, dire qu'on donne notre énergie...»

... les syndicats

«Les syndicalistes sont parfois ceux qui ont la plus grande culture économique parce que, dans leur secteur industriel, ils connaissent toutes les compagnies de leur industrie. Bien plus, des fois, que certains consultants ou d'autres.»