La Réserve fédérale américaine (Fed) reconduira sans surprise aujourd'hui son taux directeur dans la fourchette de négociation de 0 à 0,25%, pour le 16e mois d'affilée.

Tout indique aussi que son Comité de politique monétaire (FOMC) répètera la formule désormais fameuse dans le communiqué faisant part de sa décision. «Les conditions économiques, dont le faible taux d'utilisation des ressources, les faibles tendances inflationnistes ainsi que les attentes inflationnistes modestes militent pour le maintien des taux des Fed Funds à des niveaux exceptionnellement bas pour une période étendue.»

Cela signifie que la Fed n'amorcera pas son resserrement monétaire avant l'automne, au plus tôt, alors qu'il est hautement probable que la Banque du Canada passe à l'action, dès le 1er juin.

La Fed peut rester en touche, tout en reconnaissant que la reprise paraît bien engagée. À preuve, la confiance accrue des ménages, l'augmentation des dépenses de consommation et les investissements massifs des entreprises en machinerie et logiciels.

Cela ne contredit pas son constat que l'économie tourne bien en deçà de ses capacités de production. Selon une étude récente de la Commission budgétaire du Congrès (Congressionnal Budget Office), l'écart entre la production réelle et potentielle de l'économie équivaudrait encore à 6,5% du produit intérieur brut (PIB).

Jan Hatzius, économiste en chef pour les Amériques chez Goldman Sachs, prévoit en outre un net ralentissement de la croissance dès maintenant, après un gain estimé d'environ 3,0% au premier trimestre. «Le stimulus fiscal et le restockage expliquent la quasi-totalité de la croissance annualisée de 4% au second semestre de 2009, observe-t-il. Ces appuis vont s'atténuer alors que l'économie fait face à plusieurs vents adverses structurels.»

Il en nomme quatre: la faiblesse du marché du travail, le poids des déficits budgétaires (à quelque 10% du PIB cette année), le taux élevé d'inoccupation et de saisies dans l'habitation et la réticence persistante des institutions financières à prêter aux ménages et aux PME.

Voilà de quoi diminuer les pressions inflationnistes chez l'Oncle Sam alors qu'elles sont persistantes de ce côté-ci de la frontière, où l'économie navigue par vents plus cléments.

Il existe un risque réel que l'indice des prix des dépenses de consommation hormis les aliments et l'énergie, qui sert de mesure de référence de l'inflation à la Fed, passe sous la barre de 1% au cours des prochains mois.

Les autorités monétaires américaines souhaitent le voir plutôt évoluer entre 1,3% et 1,7%. Seul le maintien d'une politique monétaire très accommodante permettra d'y parvenir.

Contrairement à la Banque du Canada qui a pour mandat central la stabilité des prix avec une fourchette cible d'inflation de 1% à 3%, la Fed doit aussi viser le plein emploi. C'est loin d'être chose acquise avec un taux de chômage de 9,7%, en dépit de l'augmentation de 162 000 du nombre de salariés en mars.

«La guérison de l'économie américaine d'après-bulle a besoin de plus grands soins que celle de sa voisine du Nord, plus tributaire des produits de base et moins affligée par le crédit», soutient Eric Green, stratège en chef pour les États-Unis chez TD Valeurs mobilières (USA) LLC.

Le statu quo amènera peut-être Thomas M. Hoenig, président de la Réserve fédérale de Kansas City, à marquer sa dissidence pour la troisième fois d'affilée au sein du FOMC. Le 16 mars, il l'avait justifiée en soutenant que la politique accommodante augmentait les risques d'instabilité financière et macro-économique à long terme.

La Fed a d'autres outils que l'augmentation des Fed Funds pour mitiger ces risques. Elle peut augmenter la rémunération des réserves excédentaires que les institutions lui confient. Cela permet d'éponger quelque peu les excès de liquidités dans l'économie.

Comme elle l'a déjà fait l'hiver dernier, elle peut aussi majorer l'écart entre les Fed Funds et le taux d'escompte, celui auquel elle prête aux institutions financières.

Il est fixé maintenant à 50 centièmes, mais il avait atteint 100 points avant la crise financière. Le président de la Fed, Ben S. Bernanke, avait d'ailleurs commencé par le réduire avant de sabrer les Fed Funds, quand le crédit s'est figé durant l'été 2007.