D'entrée de jeu hier, la société Enbridge a tenté de réfuter tous les arguments et de balayer toutes les craintes, au premier jour des audiences sur son projet concernant l'inversion de son pipeline entre l'Ontario et Montréal.

«La preuve démontre amplement que le projet aurait des retombées commerciales favorables tant pour les raffineurs du Québec que pour les producteurs de l'Ouest», a plaidé Me Ann Bigué pour le compte d'Enbridge.

L'audience de l'Office national de l'énergie (ONE) s'est ouverte hier et se poursuivra jusqu'à vendredi à Montréal avant de se transporter à Toronto.

Trois membres de l'Office, Lyne Mercier, Jacques Gauthier et Mike Richmond, entendront plusieurs acteurs économiques favorables au projet, mais aussi la majorité des municipalités que le pipeline 9B traverse dans les deux provinces. Et ces dernières se montrent plutôt inquiètes, selon les mémoires qui ont été déposés.

Première riposte

D'emblée, Enbridge a cependant rejeté toutes les demandes des municipalités concernant les garanties financières que l'ONE pourrait imposer ou d'autres mesures de sécurité supplémentaires.

«Enbridge devrait-elle être tenue de mettre en oeuvre des mesures extraordinaires, comme l'établissement d'un fonds de prévoyance? a demandé Me Bigué. Avec égards, il n'y a aucun précédent de cette nature et aucune exigence de ce genre ne devrait être imposée. Si un déversement devait survenir, Enbridge serait en mesure de remplir ses obligations au moyen de ses ressources financières importantes.»

Le commissaire Mike Richmond est revenu à la charge à ce sujet, demandant si Enbridge considérait maintenir au minimum sa couverture d'assurance actuelle de 680 millions.

«Il n'y a pas d'engagement à maintenir cette couverture, a répondu Me Douglas Crowther, l'autre avocat d'Enbridge. Et je ne crois pas qu'il soit raisonnable d'en faire un engagement.»

L'entreprise doit combattre l'image qu'elle traîne depuis le déversement catastrophique de Marshall au Michigan, en juillet 2010, pour lequel les coûts de nettoyage on dépassé le milliard.

«Nous ne sommes plus en 2010, a affirmé Me Bigué. Enbridge a mis en oeuvre un grand nombre de modifications en tenant compte des enquêtes approfondies qui ont suivi l'incident de Marshall.»

L'entreprise s'est aussi fait questionner au sujet des nombreuses municipalités, dont la Ville de Montréal, qui estiment n'avoir pas reçu les renseignements qu'Enbridge prétend leur avoir fournis afin d'établir un plan de mesures d'urgence en cas de déversement.

La réponse? C'est peut-être la faute de la bureaucratie municipale, avance Me Crowther: «Certaines de ces organisations sont assez grosses et peut-être que les gens qui ont préparé les mémoires n'étaient pas au courant.»

Aucune concession non plus sur le délai de réponse en cas de déversement. Enbridge affirme investir pour avoir des équipes pouvant se déployer rapidement, tout en soulignant que, contrairement aux États-Unis, le Canada n'impose «aucune obligation» à cet égard.

Enbridge rejette tout argument voulant que le transport de pétrole lourd et l'augmentation de capacité accroissent les risques d'accident. Quant à l'inversion du flux, elle ferait augmenter les risques sur une faible portion du pipeline, soit 2,2% de sa longueur totale, en aval des postes de pompage. Mais, souligne-t-on, le risque diminuerait d'autant en amont de ces mêmes postes.

Malaise linguistique

Enbridge n'a pas pu répondre en français à la première question de la commission, que Jacques Gauthier a dû poser en anglais à l'avocat Douglas Crowther. Dommage, parce que cette question portait justement sur le délai de traduction de l'anglais au français d'un document important. Si son projet est autorisé, Enbridge devra déposer et mettre à jour régulièrement un «tableau des engagements» qui permet de vérifier si elle respecte ses obligations. Enbridge veut déposer uniquement une version officielle en anglais à l'ONE et ajouter un lien vers la version française qui serait disponible sur son site «dans les plus brefs délais». «Ne croyez-vous pas que c'est préférable d'attendre d'avoir les deux versions, puisque c'est une question sensible?», a demandé en anglais M. Gauthier. «Seule la version anglaise sera déposée, comme le permet la Loi sur les langues officielles», a répondu Me Crowther.