Afin de se rapprocher des besoins de leurs clients, plusieurs entreprises optent pour la hiérarchie minceur. Leurs méthodes: diminuer le nombre de patrons et augmenter la marge de manoeuvre des employés.

«Si un client se retrouve devant un employé qui ne peut rien décider et qui ne peut pas dépenser, ça risque de devenir problématique, explique Alain Gosselin, professeur titulaire de gestion des ressources humaines à HEC Montréal. Quand on offre à son employé une marge de manoeuvre dans un rayon déterminé, on améliore notre service. On obtient une vision plus globale des activités et on prend des décisions plus près du terrain.

«Il s'agit de couper les paliers hiérarchiques et de pousser les responsabilités le plus bas possible, ajoute-t-il. Les décisions sont prises par les équipes, et non par les gestionnaires. Les employés peuvent répartir les tâches entre eux, planifier les vacances, partager les connaissances et évaluer les performances entre eux.»

Si certains craignent qu'une forme de surveillance sournoise s'installe entre collègues, M. Gosselin voit la situation d'un autre oeil. «Quand on s'entend sur des valeurs et qu'on se met d'accord sur les objectifs, on devient une communauté d'intérêts basée sur la confiance. Je vois ça comme une possibilité d'échange d'information et de rétroaction, et non comme un système de délation.»

Le professeur compare ce type d'entreprises à une équipe de hockey d'une ligue de garage. «Les joueurs s'organisent généralement sans entraîneur. Si un membre de l'équipe ne fournit pas d'effort, ils se le disent entre eux. Les attentes mutuelles sont connues. Et personne ne veut décevoir son équipe. On n'a pas toujours besoin de politiques et de programmes pour s'assurer que les gens fassent leur travail.»

Se passer du chef pour de bon?

Depuis plus de 40 ans, Morning Star Company, leader californien de produits liés à la tomate, prétend fonctionner sans le moindre échelon hiérarchique. Son président, Chris Rufer, affirme que ses 400 employés travaillent sans encadrement et que le chiffre d'affaires ne cesse d'augmenter.

L'exemple de Morning Star fait sourciller Alain Gosselin. Même si le spécialiste en gestion croit à la diminution hiérarchique, il ne va pas jusqu'à suggérer la disparition totale des patrons. «Plusieurs organisations vont très loin dans une logique d'autonomie, de responsabilisation et de confiance, mais jamais sans se passer totalement des cadres. Ça défierait les lois de la gravité en gestion. Dans la réalité, il y a toujours un propriétaire d'entreprise dont l'argent est en jeu. L'idée de se passer de hiérarchie n'est rien d'autre qu'une formule. Je pense qu'il est plus cohérent de parler d'organigrammes qui rétrécissent.»

Il cite d'ailleurs l'aluminerie Lauralco de Deschambault comme un exemple de hiérarchie amincie et équilibrée. «L'entreprise croit à l'hyperresponsabilisation des individus, mais il y a quand même un directeur d'usine et quelques cadres. Les employés sont embauchés en fonction de cette philosophie de travail. Ils sont choisis pour leur attitude et leurs valeurs, en plus de leurs compétences techniques.»

M. Gosselin tient à préciser que ces entreprises ne sont pas faites pour tout le monde. «Plusieurs travailleurs préfèrent être associés aux résultats, alors que d'autres voient ça comme de la pression. Il faut être prêt à faire de la gestion, trouver des solutions et s'engager dans le succès de sa société. Quand on travaille pour une entreprise à la hiérarchie moins présente, on ne peut pas rentrer au bureau en se disant que le patron est le seul responsable des problèmes.»