Des détaillants veulent que les heures d'ouverture dans les centres commerciaux soient réduites. Ce qui les aiderait notamment à composer avec la pénurie de travailleurs qui frappe leur secteur. Or, le copropriétaire du Carrefour Laval et des Promenades St-Bruno notamment, Cadillac Fairview, aimerait plutôt prolonger les heures pour favoriser les restaurants dans ses propriétés.

Près de 15 ans après la prolongation des heures d'ouverture les lundis, mardis et mercredis dans certains centres commerciaux, le débat refera-t-il surface ?

Chose certaine, face à la rareté de la main-d'oeuvre, des détaillants voudraient pouvoir ouvrir moins longtemps.

« C'est sur la table. Ça se discute », a confié à La Presse Léopold Turgeon, PDG du Conseil québécois du commerce de détail (CQCD), sans vouloir préciser l'identité des détaillants auxquels il faisait référence.

La plus importante association de détaillants de la province - 5000 membres - dit ne pas prendre position dans le dossier, car elle ne se mêle pas « des stratégies commerciales ».

Mais M. Turgeon comprend que pour certains détaillants, devoir ouvrir 70 heures par semaine est ardu financièrement. « Il y en a pour qui c'est un enjeu. Les marges sont très restreintes. Alors il y en a qui aimeraient ça [ouvrir moins]. »

« Ça nous faciliterait la tâche »

« Si on veut améliorer la qualité du service qu'on donne, ce serait une avenue [réduire les heures d'ouverture]. On dilue le talent, c'est bien sûr. La pénurie nous touche tous. Ça nous faciliterait la tâche », affirme François Monat, propriétaire des boutiques de chaussures Jean-Paul Fortin et Clarks, dont le siège social est à Québec.

À son avis, ce pourrait être, du moins, une « solution temporaire en attendant que la pénurie se résorbe ». Même s'il n'a pas lui-même fait cette proposition aux centres commerciaux, il juge que « ça vaut la peine de regarder ça attentivement ».

Le propriétaire des boutiques de vêtements Tristan, Gilles Fortin, croit pour sa part que ce n'est « qu'une question de temps avant que cette initiative prenne de l'ampleur ». Parce qu'il manque de personnel, mais aussi parce que les soirs de début de semaine « ne sont jamais devenus rentables ».

François Monat calcule lui aussi que les soirs de début de semaine ne sont « pas tant » rentables. Et cela, même en Ontario, où il croyait il y a plusieurs années, à tort, que c'était dans la culture ontarienne de magasiner les soirs de début de semaine, raconte-t-il.

Même si Gilles Fortin était « totalement d'accord » avec une réduction des heures d'ouverture dans les centres commerciaux, il rappelle que les détaillants ont des obligations à respecter. « On doit se conformer aux heures. Je ne crois pas que ce soit une guerre gagnable, car les baux sont précis à ce sujet. »

Un autre prolongement souhaité

Du côté des propriétaires immobiliers Ivanhoé Cambridge et Cadillac Fairview, on affirme ne pas avoir reçu de demandes officielles pour réduire les heures d'ouverture.

« Notre point de vue serait plutôt dans le sens contraire. On a beaucoup de pertes de ventes en fin de journée. » - Danielle Lavoie, vice-présidente principale et directrice du portefeuille de l'est du Canada chez Cadillac Fairview

La dirigeante explique que la fin de semaine, quand les centres commerciaux ferment, il est trop tôt pour aller souper dans les restaurants qui sont toujours de plus en plus nombreux à s'y greffer. Donc, les clients retournent chez eux. « On voudrait faire le pont entre 17 h et 18 h », dit-elle. Cela exigerait bien sûr un changement réglementaire.

« On n'a pas fait de représentations encore. On a ça dans notre ligne de mire. On pense faire du lobbying éventuellement », confie Mme Lavoie, tout en admettant être consciente des reproches qui sont adressés à son employeur sur la question des heures d'ouverture.

Face à la pénurie de main-d'oeuvre, mais aussi à la popularité des achats en ligne qui nuit à la rentabilité des commerces en brique et mortier, Léopold Turgeon juge que « les modèles d'affaires d'Ivanhoé Cambrige, de Cadillac Fairview, de toutes ces grandes corporations n'ont pas le choix d'évoluer [...] Y a des [détaillants] qui [le leur] soulèvent, [qui leur disent que] ça n'arrive pas là. Ça n'arrive pas ! »

D'ailleurs, fait-il remarquer, les détaillants en difficultés financières montrent souvent du doigt les prix des loyers.

Pénurie de main-d'oeuvre Centres commerciaux

Un débat houleux

La prolongation des heures d'ouverture des centres commerciaux, au début des années 2000, ne s'était pas faite sans heurts.

Même si la Loi d'admission dans les établissements commerciaux autorise depuis 1990 les centres commerciaux à ouvrir jusqu'à 21 h du lundi au mercredi, un tel horaire n'a commencé à être imposé aux détaillants qu'en août 2004.

Des dizaines de boutiques avaient alors défié Cadillac Fairview (Carrefour Laval, Galeries d'Anjou, Promenades St-Bruno, Fairview Pointe Claire) en demeurant fermées le premier lundi soir où les heures avaient officiellement été allongées jusqu'à 21 h (plutôt que 18 h).

Quelques semaines plus tard, une dizaine d'autres centres commerciaux appartenant à Ivanhoé Cambridge (filiale de la Caisse de dépôt) avaient emboîté le pas. Certains centres n'ont jamais imposé un tel horaire (Place Longueuil, Mail Champlain).

Et des retours en arrière se sont même produits. En janvier 2005, Ivanhoé Cambridge a annoncé un changement d'horaire dans cinq centres commerciaux. Ceux-ci ont alors cessé d'ouvrir leurs portes les lundis et mardis soirs. L'horaire prolongé du mercredi a toutefois été maintenu.