Le géant américain Lowe's, qui a déboursé 2,3 milliards US pour mettre la main sur le groupe Rona il y a trois ans, estime que ses actifs canadiens ont perdu beaucoup de valeur depuis. Ainsi, une radiation de 952 millions US a été annoncée hier, en même temps que des ventes en recul au Canada.

« Étant donné les faibles perspectives du marché immobilier canadien, nous avons déterminé que la valeur aux livres de cette entreprise [la division canadienne] dépassait sa valeur réelle », a précisé David Denton, chef de la direction financière de Lowe's, lors d'une téléconférence avec les analystes du secteur.

Cette dépréciation, a-t-il ajouté, « élimine essentiellement tout le goodwill de nos activités canadiennes ».

Le goodwill, ou écart d'acquisition, est grosso modo la prime payée par l'acquéreur d'une entreprise, compte tenu « du potentiel de croissance et de rentabilité », explique Michel Magnan, professeur de comptabilité à l'Université Concordia et titulaire de la chaire de gouvernance d'entreprise Stephen A. Jarislowsky. Des radiations sont « assez courantes », note-t-il.

Que doit-on comprendre du geste de Lowe's ? 

« On peut en conclure qu'ils ont payé [Rona] trop cher ou qu'ils ont mal géré les opérations canadiennes [ou] que les résultats anticipés ne se matérialisent pas. » - Michel Magnan, professeur de comptabilité à l'Université Concordia

En 2016, Lowe's a acquis le groupe Rona pour 2,3 milliards US (3,2 milliards de dollars CAN). Il s'agissait de sa deuxième offre ; à l'été 2012, le quincaillier de Caroline du Nord avait mis 1,4 milliard CAN de moins sur la table. Rappelons que la Caisse de dépôt était le plus important actionnaire de Rona avec une participation d'environ 15 %.

Une radiation « majeure »

Aujourd'hui, la radiation annoncée par Lowe's est « majeure », juge M. Magnan. 

« C'est plus de 40 % ! », s'étonne-t-il, tout en soulignant que c'est « facile à dire après coup » qu'on a payé une entreprise trop cher.

De plus, il peut être justifié de verser une somme importante pour le goodwill, note l'universitaire. C'est le cas lors d'acquisitions stratégiques permettant de pénétrer un marché clé, par exemple. « C'était quoi, l'alternative ? Ouvrir des magasins Lowe's un à un avec ce que ça encourt de coûts et de délais ? »

Michel Magnan rappelle que le même scénario s'est produit à la fin des années 90 quand l'épicier ontarien Loblaw a payé cher la chaîne québécoise Provigo pour entrer au Québec... avant de faire une radiation du goodwill. « C'était stratégique. C'est l'analogie parfaite ! »

Baisse des ventes comparables

Il n'a pas été possible de parler hier au président et chef de la direction de Lowe's Canada, Sylvain Prud'homme. Le dirigeant est « en voyage avec les marchands affiliés et plusieurs autres membres de la haute direction », a dit la porte-parole Andrea Danielle Wong.

Celle-ci nous a précisé par courriel que la faiblesse du marché immobilier canadien est « attribuable à deux principaux facteurs, soit l'entrée en vigueur, le 1er janvier 2018, de nouvelles règles hypothécaires qui ont eu un impact important sur les marchés de la vente et de la revente d'habitations partout au pays, et la diminution des mises en chantier au cours du troisième trimestre de 2018, un phénomène qui devrait se poursuivre en 2019 ».

Lowe's Canada se dit néanmoins « confiante » d'être « bien positionnée pour connaître une croissance à long terme ».

Lowe's ne dévoile pas ses ventes par pays, mais le détaillant a indiqué que ses ventes comparables (une donnée clé dans l'industrie) avaient été « en baisse » au Canada au cours du trimestre clos le 1er février. L'entreprise l'explique par « un faible temps des Fêtes et l'intégration de Rona qui met de la pression sur l'entreprise ».

Le marché semble difficile pour tous les acteurs du milieu. Mardi, Home Depot a précisé que ses ventes comparables au Canada avaient été « essentiellement stables » au cours du trimestre clos le 3 février.

À l'Association québécoise de la quincaillerie et des matériaux de construction (AQMAT), on craint l'arrivée d'autres vents contraires. « Le marché du Québec appréhende la fin définitive du crédit d'impôt RénoVert (31 mars 2019), après deux prolongements. On espère que le gouvernement en place va prendre connaissance des impacts directs et indirects d'un tel congé fiscal », dit son président Richard Darveau.

Le taureau par les cornes

Ce n'est pas plus facile aux États-Unis, où la haute direction de Lowe's admet avoir « beaucoup de travail » pour remettre le détaillant sur les rails. « Nous voyons des poches d'exécution inconstante », a admis le président et chef de la direction Marvin Ellison.

Ses vice-présidents et lui ont raconté aux analystes qui suivent le détaillant que le site web avait connu des ratés dans le temps des Fêtes, ce qui avait nui aux ventes. Ils ont convenu que le service à la clientèle, l'assortiment de produits, les changements de saison, les horaires des 300 000 employés, la formation du personnel et le ravitaillement des tablettes devaient être améliorés.

Ils ont en outre énuméré quelles mesures avaient été prises concrètement et récemment pour corriger toutes ces lacunes. Dans le rayon de la peinture, les résultats se font déjà sentir, ont-ils assuré. Et en janvier, les ventes des magasins comparables ont atteint 5,8 % aux États-Unis, ce qui se compare à 0,9 % en novembre et à 1,4 % en décembre.

« Nous avons les mêmes grandes tendances stratégiques au Canada, mais la façon de les déployer est propre à notre réalité », nous a indiqué la porte-parole Andrea Danielle Wong.

Le marché a bien réagi aux annonces de Lowe's. Le titre a terminé la séance en hausse de 2,5 %, à 107,62 $ US.

Résultats financiers de Lowe's 

(États-Unis, Canada et Mexique)

4e trimestre clos le 1er février

(en $ US, par rapport au même trimestre de l'exercice précédent)

Ventes : 15,6 milliards (+ 0,6 %)

Ventes comparables (magasins ouverts depuis plus d'un an) : + 1,7 %

Radiation d'actifs : 1,6 milliard

Perte nette : 824 millions (comparativement à un bénéfice de 554 millions)

Perte nette par action : 1,03 $ (comparativement à un bénéfice par action de 0,67 $)

Exercice 2018

(en $ US, par rapport à l'exercice précédent)

Ventes : 71,3 milliards (+ 3,9 %)

Bénéfice net : 2,3 milliards (- 33 %)

Perte nette par action : 2,84 $ (- 31 %)