Après plusieurs journées d'angoisse à Ottawa, marquées par des signaux contradictoires en provenance de Washington, on a appris hier que le Canada pourrait en fin de compte être exempté des tarifs extraordinaires sur ses exportations d'aluminium et d'acier vers les États-Unis. Rien n'est gagné pour autant. La démission du conseiller économique Gary Cohn de la Maison-Banche, mardi, risque de laisser encore plus libre cours aux visées protectionnistes du président Donald Trump. Explications et prévisions.

Coup de tonnerre

L'industrie métallurgique canadienne - et mondiale - était aux aguets depuis la semaine dernière, lorsque Donald Trump a annoncé son intention d'imposer des tarifs douaniers de 25 % sur les importations d'acier et de 10 % sur celles d'aluminium. Le Canada, principal exportateur de ces deux matières au sud de la frontière, risquait de souffrir particulièrement de ces nouvelles barrières économiques. Donald Trump a par la suite suggéré de lier la question des tarifs à la renégociation de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), un marchandage rejeté tant par le Canada que par le Mexique. Le premier ministre Justin Trudeau a qualifié d'« inacceptable » cette proposition, en plus de faire part de son mécontentement au président américain lors d'un appel téléphonique.

Soulagement canadien

Ces menaces américaines ont fait chuter le dollar canadien sous la barre des 78 cents US et plombé les marchés boursiers. Elles ont aussi laissé poindre la possibilité bien réelle - et dévastatrice - d'une guerre commerciale mondiale. La Chine et 17 autres pays se sont plaints hier à l'Organisation mondiale du commerce (OMC), tandis que l'Union européenne a menacé de taxer une série d'exportations américaines en représailles, dont le bourbon et les jeans. Puis, coup de théâtre hier en fin d'après-midi : la porte-parole de la Maison-Blanche a affirmé que le Canada et le Mexique pourraient finalement être épargnés par les nouveaux tarifs sur l'acier et l'aluminium. « Il y aura potentiellement des dérogations pour le Canada et le Mexique sur des bases de sécurité nationale, et possiblement pour d'autres pays », a déclaré Sarah Huckabee Sanders pendant un point de presse. Les dossiers seront étudiés « au cas par cas », a-t-elle ajouté.

Exemption temporaire ?

Un peu plus tard hier, le conseiller pour le commerce à la Maison-Blanche Peter Navarro a apporté certaines nuances aux commentaires de Mme Sanders. Il a affirmé à Fox Business Channel que les tarifs sur les métaux entreraient en vigueur d'ici 15 à 30 jours dans la plupart des pays. Il a réitéré la menace d'appliquer cette surtaxe plus tard au Canada et au Mexique si la renégociation de l'ALENA ne se conclut pas à l'avantage des États-Unis. « Cela nous donnera l'occasion [...] de négocier un bon accord pour [notre] pays, a-t-il avancé. Si nous pouvons obtenir cela, alors tout va bien avec le Canada et le Mexique. »

Dissensions internes

L'idée d'une surtaxe sur l'acier et l'aluminium est loin de faire l'unanimité à la Maison-Blanche. Elle pénalisera avant tout les industries qui utilisent ces métaux, dont l'automobile et l'aéronautique, ce qui fera grimper le prix des biens de consommation aux États-Unis. Déjà à couteaux tirés avec Donald Trump, l'un de ses principaux conseillers économiques, Gary Cohn, a quitté son poste avec fracas avant-hier. Le dirigeant de l'influent Conseil économique national était perçu comme l'un des principaux défenseurs du libre-échange au sein de la Maison-Blanche. Selon divers analystes, sa démission devrait laisser le champ libre aux partisans de la ligne dure en matière de protectionnisme, dont Wilbur Ross, secrétaire du Commerce, et Peter Navarro, conseiller pour le commerce du président.

Inquiétant pour le Canada ?

Le gouvernement Trudeau déploie depuis des mois des efforts considérables pour convaincre les politiciens et les gens d'affaires américains du bien-fondé du libre-échange (et de l'ALENA), sous la houlette de la ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland. Le départ de Gary Cohn devrait-il inquiéter le Canada ? Au cabinet de la ministre Freeland, une source a indiqué à La Presse que sa démission ne constituait pas une surprise, puisque ses dissensions avec Donald Trump étaient connues. « On va continuer à employer notre stratégie, je ne pense pas vraiment qu'on va la changer parce que quelqu'un a démissionné. » Cette source précise que les officiels canadiens se sont déjà entretenus avec plusieurs de leurs contacts dans l'administration américaine au cours des derniers jours, dans la foulée de ce nouveau psychodrame. Chrystia Freeland a notamment discuté avec Wilbur Ross, en plus de rencontrer une délégation de l'influent Comité des voies et moyens de la Chambre des représentants.

Impact mineur, selon un expert

Pour le professeur Patrick Leblond, expert en politique économique internationale à l'Université d'Ottawa, le départ de Gary Cohn ne devrait pas entraîner de changement draconien dans la politique commerciale de la Maison-Blanche. Il rappelle que sa présence n'avait pas empêché l'administration Trump d'imposer des droits compensateurs sur le bois d'oeuvre et le papier journal au cours des derniers mois. M. Cohn n'avait « plus l'oreille ni la confiance » du président, observe-t-il. « Jusqu'à quel point M. Cohn était un interlocuteur important pour faire valoir ses intérêts et influencer M. Trump ? On peut douter [de son ascendant]. » Il reste que ce départ viendra consolider les orientations protectionnistes de la Maison-Blanche, selon M. Leblond. « C'est sûr que ça envoie un message clair sur la direction que va prendre l'administration, et ça laisse penser qu'on va voir plus de déclarations et possiblement plus de protectionnisme, du moins sur le plan rhétorique. Mais est-ce que dans la réalité, ça va être le cas ? Ça reste à voir. »

Partenariat transpacifique

Le Canada aura au moins une bonne nouvelle à annoncer cette semaine dans le domaine du commerce international, avec la signature de l'Accord de partenariat transpacifique global et progressiste prévue ce matin au Chili. Ce traité de libre-échange entre 11 pays, dont le Japon et l'Australie, devrait générer des gains économiques de 4,2 milliards pour le Canada. La recherche intensive de nouveaux marchés par Ottawa ne saurait toutefois réduire l'importance qu'occupent les États-Unis pour les exportations canadiennes, avertit Bernard Colas, avocat spécialisé en droit du commerce international au cabinet CMKZ à Montréal. « Il va falloir beaucoup plus qu'un traité de libre-échange pour atteindre des niveaux commerciaux comme on en a avec les Américains. »