De petites voitures «globales» distribuées partout sur la planète. Une dette renégociée avant la crise. Un portfolio de marques simplifié à l'extrême. La recette appliquée par Ford lui a permis d'éviter la déroute de ses concurrents américains, même si sa situation demeure précaire.

Le constructeur au logo ovale est le seul des trois grands de Detroit à ne pas s'être placé sous la protection des tribunaux - et à avoir levé le nez sur une injection de fonds publics. Un exploit, disent certains, qui découle d'une série de décisions prises depuis trois ans.

«La grande chance de Ford, c'est qu'elle a réussi à refinancer sa dette et repositionner complètement ses finances avant la crise, explique Christian Navarre, professeur de gestion stratégique à l'Université d'Ottawa. Ainsi, quand la crise est arrivée, l'entreprise ne s'est pas retrouvée sans capacités de trésorerie.»

Le coup de génie, selon les experts, remonte à 2006, peu après l'arrivée du nouveau PDG Alan Mulally. Sentant venir la récession, l'ex-dirigeant de Boeing a hypothéqué tous les actifs de Ford aux États-Unis en échange de prêts de 23,6 milliards US. Un geste jugé choquant à l'époque, qui a toutefois assuré des liquidités suffisantes à l'entreprise pour fonctionner.

Le PDG a aussi simplifié au maximum la structure de Ford depuis son arrivée. Entre mars 2007 et juin 2008 - avant la crise -, il a réussi à vendre les bannières de luxe Aston Martin, Jaguar et Land Rover, toutes jugées non-stratégiques. Une très bonne affaire, en rétrospective.

«Ils ont été capables de se délester de leurs activités avant les autres», dit Louis Hébert, professeur titulaire de gestion stratégique à HEC Montréal.

Ford se retrouve aujourd'hui avec une gamme de produits très limitée, centrée autour des marques Ford, Lincoln, Mercury et Volvo (que le groupe cherche toujours à vendre).

Pour capitaliser au maximum sur cette simplicité, Ford offrira de plus en plus de voitures «globales», distribuées partout dans le monde sans trop de modifications. La petite Fiesta incarne en tous points cette stratégie.

Cette sous-compacte - qui jouit d'un accueil très favorable de la presse spécialisée - a été lancée l'an dernier en Europe, cette année en Asie et arrivera à l'été 2010 en Amérique du Nord. La Focus, un cran plus grande, suivra la même trajectoire.

«On a le sentiment que Ford a pris un virage produit qui va s'avérer payant, surtout au fur et à mesure que la réglementation de l'administration Obama sur les émissions de CO2 va faire sentir ses effets», dit Christian Navarre.

Ford a par ailleurs fermé une série d'usines et licencié des milliers de travailleurs au cours des dernières années, en plus de renégocier les conditions salariales de ses syndiqués à la baisse. Le constructeur a ainsi ramené ses coûts de production plus près de ceux des constructeurs japonais.

Des écueils

Ford fait peut-être meilleure figure que GM et Chrysler, mais le constructeur est lui aussi frappé de plein fouet par un recul de ses ventes. L'entreprise a perdu 1,4 milliard US au premier trimestre de 2009, en plus de voir ses ventes reculer de 43%.

Aussi, la restructuration de ses deux concurrents sous la protection des tribunaux risque de la désavantager, soulignent les experts. GM et Chrysler sortiront de la faillite avec un bilan nettement allégé, et moins d'obligations envers leurs retraités.

La lourdeur des fonds de pension des dizaines de milliers de travailleurs de Ford aux États-Unis pourrait devenir problématique, dit Louis Gialloreto, professeur de marketing à McGill. «Si le marché ne reprend pas d'ici 12 à 18 mois, ils vont être vraiment mal pris avec ces coûts-là.»

Dans un communiqué publié lundi, Ford a émis des inquiétudes quant à la participation massive de Washington dans le capital de GM. L'État détiendra 61% du constructeur en échange d'une aide financière totale de 50 milliards US, ce qui pourrait remettre en cause la «dynamique de la concurrence», selon Ford.

Christian Navarre, de l'Université d'Ottawa, reconnaît que Ford sera «légèrement handicapé» par rapport à ses concurrents. Mais l'entreprise a selon lui un atout que GM et Chrysler n'ont pas: de nouveaux véhicules éprouvés et économiques qui débarqueront d'ici un an sur le marché nord-américain.

«Le temps que les autres mettent leurs produits en marché, Ford aura les siens», tranche-t-il.

Le titre de Ford est demeuré stable à 6,36$ hier à la Bourse de New York. Il a grimpé de 177% depuis le début de l'année.