Après cinq ans de réflexion et de démarches infructueuses au Québec pour trouver un acheteur, Jean-Pierre Léger s'est résigné à vendre le Groupe St-Hubert à l'Ontarienne Cara, espérant ainsi assurer la pérennité du fleuron québécois de la restauration.

Cette alliance de 537 millions $ permettra au propriétaire des chaînes de restaurants Chalet Swiss, Harvey's, Kelsey's et East Side Mario's d'ajouter 117 restaurants aux 1010 qu'elle exploite actuellement au Canada.

Parfois approché, notamment par des Américains, le grand patron de St-Hubert s'est surtout affairé à tenter de dénicher, sans succès, des acheteurs québécois pour prendre la relève.

«J'ai regardé tout ce qu'il y avait ici, a-t-il raconté, mercredi, en conférence de presse. J'ai courtisé différents groupes (et finalement) on ne s'est pas marié.»

Des pourparlers ont eu lieu avec Investissement Québec, la Caisse de dépôt et placement du Québec et le Fonds de solidarité FTQ, mais ces investisseurs institutionnels, a rappelé M. Léger, n'ont pas le mandat de prendre le contrôle des entreprises.

La CDPQ a indiqué qu'elle avait déjà manifesté son intérêt à quelques reprises dans le passé pour mettre la main sur une participation minoritaire. Or, selon une source au fait des négociations, la Caisse avait récemment présenté une offre à cet effet, avant d'apprendre mercredi soir que St-Hubert était entièrement vendue à Cara.

Néanmoins, celui qui occupe la présidence de l'entreprise familiale fondée il y a 65 ans dit avoir pris son temps avant d'accepter l'offre de Cara, qui, croit-il, fera croître la société qui compte actuellement 10 000 employés.

«L'automne dernier, j'ai eu 70 ans, a rappelé M. Léger. Je ne suis pas éternel. Il faut que je pense que le Groupe St-Hubert puisse continuer sans moi.»

Dans l'espoir de se renouveler, la chaîne qui a vu le jour en 1951 avait recruté l'ex-président et chef de la direction de Québecor Robert Dépatie en 2014. L'expérience avait toutefois été de courte durée, puisque celui-ci avait quitté son poste après seulement quelques mois.

M. Léger avait par la suite confié le poste de président-directeur général à Pierre Rivard, aux commandes de la division détail du groupe depuis plus de trois ans.

«Oui, j'ai recruté des gens de l'extérieur et ça n'a pas toujours été heureux, a-t-il concédé. S'il y a une leçon à tirer de cela, c'est de développer nos compétences à l'interne.

Malgré l'absence d'un engagement ferme, le siège social de St-Hubert - où travaille une soixantaine de personnes - demeurera à Laval, affirme le chef de la direction de Cara, Bill Gregson.

M. Léger a par ailleurs montré des signes d'impatience lorsqu'il lui a été demandé, en marge de la conférence de presse, pourquoi il n'avait pas exigé des garanties en matière d'emplois.

«Je pourrais vous faire la chansonnette, a-t-il répondu aux journalistes. Si l'on continue d'innover et de développer des nouveaux produits, c'est comme cela que l'on garantit des emplois.»

Cara compte confier la responsabilité de ses quelque 60 restaurants qu'elle exploite dans la province à du personnel québécois, qui aura le mandat de faire croître le nombre d'établissements.

On prévoit entre autres ajouter des rôtisseries St-Hubert au Québec ainsi qu'ailleurs Canada, en plus de potentiellement lorgner le nord-est des États-Unis - un rêve que caressait l'entreprise québécoise au début de la décennie.

Ainsi, il n'est pas question, assure M. Gregson, de piloter l'expansion québécoise des rôtisseries et des autres bannières de Cara depuis l'Ontario.

«Sauf pour Harvey's, notre bilan n'est pas très reluisant au Québec, a expliqué le dirigeant de Cara. La pire chose que nous pourrions faire serait de leur dire quoi faire parce qu'ils savent quoi faire pour connaître du succès.»

L'entreprise ontarienne écarte toutefois le retour des restaurants Chalet Swiss au Québec, étant donné que cette bannière n'a jamais été en mesure de rivaliser avec St-Hubert dans le passé.

En plus des restaurants, Cara met également la main sur deux centres de distribution, mais surtout sur les deux usines de production alimentaires de St-Hubert situées à Blainville et Boisbriand.

Ces deux installations sont derrière les salades, pâtés, côtes levées et des quelque 33 produits de la marque St-Hubert vendus dans les épiceries. D'ici trois ans, Cara croit pouvoir ajouter 100 millions $ à leur chiffre d'affaires annuel de 225 millions $.

«Nous allons nous pencher sur les marques de commerce de Cara pour voir quel positionnement on leur donnera dans le secteur du détail, a expliqué M. Rivard, au cours d'un entretien. Est-ce que ça sera des pâtés ou des côtes levées? On verra.»

Selon lui, les deux usines de production alimentaire peuvent doubler, voire tripler leur production, ce qui se traduira par des embauches. Elles comptent pour l'instant un total d'entre 400 et 500 employés.

La clôture de la transaction, qui doit obtenir l'approbation des autorités réglementaires, est prévue au cours de l'été.

Quelques dates importantes dans l'histoire du Groupe St-Hubert

1951: Les fondateurs Hélène et René Léger ouvrent la première rôtisserie sur la rue Saint-Hubert, à Montréal. L'établissement est le premier à offrir un service gratuit de livraison à domicile.

1965: L'entreprise compte cinq rôtisseries dans la métropole. C'est au cours de cette année que l'entreprise commercialise la populaire sauce St-Hubert, qui fait son arrivée dans les épiceries.

1967: Ouverture de la première succursale de la chaîne dans la région de Québec.

1972: Groupe St-Hubert met sur pied un centre d'appel dans la région de Montréal afin de centraliser les commandes téléphoniques. Une trentaine de personnes y travaillent.

1979: La société fonde un centre de formation. Au terme de la décennie, le nombre de rôtisseries a quadruplé pour atteindre plus de 50. 1991: Le fils des fondateurs du Groupe St-Hubert, Jean-Pierre Léger, accède à la présidence de l'entreprise.

1995: Trois ans après le déploiement du concept resto-bar, le premier St-Hubert Express ouvre ses portes à l'adresse de la première rôtisserie de la bannière.

2005: L'entreprise devient l'une des premières chaînes de restauration à bannir le tabac de ses établissements, environ un an avant l'entrée en vigueur de la loi interdisant de fumer dans les endroits publics.

2008: L'entreprise inaugure sa 100e succursale à Cowansville, en Estrie.

2009: Groupe St-Hubert élimine la mousse de polystyrène de tous ses emballages.

2011: À l'occasion de son 60e anniversaire, la société lance un projet d'expansion, notamment afin de percer au Canada anglais ainsi qu'aux États-Unis. Des ouvertures sont prévues en Ontario et au Nouveau-Brunswick, entre autres.

2012: Évoquant le contexte économique défavorable, le projet d'expansion est mis sur la glace. Au cours de la même année, Groupe St-Hubert rachète le producteur Maître Saladier et l'intègre à sa division du détail. L'entreprise met également sur pied la Fondation St-Hubert, qui vise à contribuer à la santé et au mieux-être des communautés.

2014: L'ex-président et chef de la direction du conglomérat Québecor, Robert Dépatie, est nommé à la tête du Groupe St-Hubert. Son principal mandat est de repositionner la chaîne de restauration afin de lui donner un nouveau souffle.

2015: M. Dépatie quitte son poste. Groupe St-Hubert confie alors les rênes de l'entreprise à Pierre Rivard, à la tête de la division du détail.

2016: Groupe St-Hubert est vendu aux Entreprises Cara, propriétaire des bannières Swiss Chalet et Harvey's, pour 537 millions.

Groupe St-Hubert en chiffres:



• Chiffres d'affaires annuel consolidé de 620 millions.

• Plus de 10 000 employés au sein des divisions de la restauration et de la transformation agroalimentaire.

• Réseau de 117 restaurants - dont 108 franchisés - répartis principalement au Québec, en Ontario ainsi qu'au Nouveau-Brunswick.

• Deux usines de transformation alimentaire, deux centres de distribution et 28 propriétés immobilières.