L’Agence du revenu du Canada conduit actuellement 400 vérifications

Les cryptomonnaies comme le bitcoin ont beau être réputées anonymes et indépendantes des banques centrales, elles n’échappent pas au fisc. L’Agence du revenu du Canada (ARC) se lance dans une véritable chasse aux cryptomonnaies en rappelant deux faits : les cryptomonnaies ne sont pas si anonymes et leur utilisation entraîne souvent des obligations fiscales.

Et ce ne sont pas que des vœux pieux, assure en entrevue avec La Presse Anne Ellefsen-Gauthier, porte-parole de l’Agence et directrice au sein de la Direction générale des programmes d’observation. « On a 400 vérifications et examens en lien avec les cryptomonnaies qui sont faits en ce moment, révèle-t-elle. Si on a [réclamé] 54 millions de dollars en matière de cryptomonnaie, c’est qu’on sait que le risque est là et on a été capables de retrouver les personnes. »

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Anne Ellefsen-Gauthier, porte-parole de l’Agence et directrice au sein de la Direction générale des programmes d’observation

Ce n’est pas d’hier que l’ARC s’intéresse aux cryptomonnaies, dont la première, le bitcoin, a été lancée au début de 2009. Cette monnaie électronique a été créée artificiellement par un groupe d’informaticiens sous le pseudonyme de Satoshi Nakamoto et sa valeur globale atteint aujourd’hui les 1410 milliards US. Dans son giron sont nées entre 13 000 et 23 000 cryptomonnaies.

Des équipes depuis 2019

Pour le fisc canadien comme pour Revenu Québec, il ne s’agit pas de monnaie en tant que telle, mais d’un actif financier.

« C’est un bien dont on dispose, plutôt qu’un revenu, explique Mme Ellefsen-Gauthier, rencontrée dans les bureaux de l’Agence à Ottawa, à un jet de pierre du parlement. Quand on achète un service ou une fourniture, il y a une obligation fiscale en matière de taxes qui est générée. Lorsqu’on a des gains ou qu’on fait de l’argent avec les transactions impliquant des cryptoactifs, c’est généralement imposable. »

Depuis 2019, l’ARC a mis sur pied des équipes de vérificateurs qui se consacrent spécifiquement aux cryptomonnaies. On ignore précisément combien de Canadiens possèdent des cryptomonnaies ni quel est leur actif, mais les sommes en jeu pour le fisc se chiffrent vraisemblablement en centaines de millions de dollars.

En 2022, selon les données de Revenu Québec fournies à La Presse, Revenu Québec a enregistré 150,3 millions en gains en capital déclarés par les particuliers et les entreprises avec des cryptomonnaies. On a en outre enregistré 51,6 millions de pertes en capital.

Le sujet est revenu à l’ordre du jour le 16 avril dernier, lors de la présentation du budget fédéral. Celui-ci contenait une mesure mettant le Canada au diapason d’autres pays de l’OCDE en forçant les plateformes d’échange, les courtiers et négociants ainsi que les opérateurs de distributeurs automatiques de cryptoactifs à signaler toute transaction d’une valeur supérieure à 50 000 $ US. Ils devront également obtenir et déclarer des renseignements sur chacun de leurs clients, comme le nom, l’adresse, la date de naissance et le lieu de résidence.

Le premier mythe que veut briser l’ARC est celui de l’anonymat entourant les cryptomonnaies. S’il est vrai que quiconque peut en détenir sans réellement fournir de preuves d’identité, leur passage dans l’économie classique laisse des traces, rappelle la porte-parole. « Nous, on dit que c’est “pseudoanonyme”. Souvent, les gens pensent que c’est anonyme, mais ce ne l’est pas tout à fait. Ça laisse des traces et on a les outils nécessaires pour être capables de retrouver la personne ou la corporation qui est derrière […], de colliger l’information qu’on est capables d’avoir de différentes sources. »

Secteur à haut risque

L’autre mythe, souvent propagé par les utilisateurs de cryptomonnaies eux-mêmes, est que ces actifs échappent complètement à toute obligation fiscale. On peut effectivement avoir dans son portefeuille électronique des cryptomonnaies équivalant à des millions, voire des milliards, de dollars sans payer de taxes ou d’impôts. « C’est vrai que posséder de la cryptomonnaie ou des cryptoactifs en soi, si on ne fait rien avec, un peu comme si on laisse de l’argent dans notre compte de banque, il ne se passera pas grand-chose », dit la porte-parole. C’est leur « disposition » qui attire l’attention du fisc.

« Il y a une certaine entente sur le fait que c’est un secteur à haut risque, note-t-elle. C’est un secteur où l’on voit que les gens, par omission volontaire ou pas, ne déclarent pas leurs biens, et leurs gains. »

Sans dévoiler en détail les méthodes d’enquête, elle précise que l’ARC utilise d’abord des outils « quantitatifs » algorithmiques, avec des statisticiens et des économistes qui identifient les contribuables à risque. On passe ensuite à un volet « qualitatif », une enquête plus classique. « Souvent, ce sont plusieurs facteurs de risque combinés et ça nous donne une liste de personnes. Il y a des facteurs, disons, “behavoriaux” : est-ce qu’il y a des changements de comportements ? On va toujours au plus haut risque et c’est là qu’on déclenche des vérifications. »

Le travail final, ce sont les interventions. Outre les avis de cotisation, l’ARC peut déposer des demandes devant des tribunaux pour forcer des institutions ou des plateformes à dévoiler les transactions. En mars 2021, la plateforme Coinsquare avait ainsi été obligée de divulguer l’identité des 16 500 détenteurs de comptes les plus importants, et tous ceux qui détenaient au moins 20 000 $ en valeur.

S’ils ont omis de déclarer des gains, les contribuables ont essentiellement deux options, indique Mme Ellefsen-Gauthier : modifier leur déclaration de revenus ou opter pour la divulgation volontaire, ce qu’elle appelle « montrer patte blanche ». « Il n’est jamais trop tard, si on se rend compte qu’on a omis des obligations, pour quelque raison que ce soit. »

Les cryptomonnaies en chiffres

67 074 $ US

Cours du bitcoin en date du 23 mai dernier. Il a atteint les 100 $ US cinq ans après sa création en 2013, puis les 1000 $ US en 2017.

Source : Binance

13 %

Proportion des Canadiens possédant des bitcoins en 2021. Il était de 3 % en 2016.

Source : Banque du Canada

790 millions US

Gains en cryptomonnaies obtenus par des Canadiens en 2023, ce qui place le Canada au 15rang mondial.

Source : Chainalysis