L’inflation a ralenti et des baisses de taux d’intérêt sont maintenant envisageables. Dans un contexte de croissance démographique record au Canada, que nous réserve 2024 ? Le gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem, a répondu à nos questions.

La Banque du Canada avait prévu un ralentissement de l’économie canadienne, mais ce ralentissement est encore pire que ce que vous aviez prévu. Peut-on encore éviter la récession ?

Oui, l’économie est faible et les deux ou trois trimestres à venir seront près du zéro. Est-ce que ce sera une récession ? Non. C’est possible qu’on ait deux trimestres négatifs, donc les gens vont dire que c’est une récession. On peut avoir des trimestres positifs aussi, mais on anticipe environ zéro [pour 2024]. Ce n’est pas une grande récession. On n’a pas besoin d’une grande récession pour continuer de faire baisser l’inflation. Mais malheureusement, on a encore besoin d’une période de croissance faible pour rétablir la stabilité des prix.

Donc, ça ira plus mal avant d’aller mieux ?

On pense que l’année prochaine sera une année de transition. Au début, les deux premiers trimestres, ça sera difficile. L’inflation est encore trop élevée, le coût de la vie monte trop vite et l’économie est faible. Mais plus tard dans l’année, on pense qu’on va voir plus de progrès avec l’inflation, et probablement que la croissance va s’améliorer et que les entreprises vont embaucher plus de travailleurs.

On comprend que c’est difficile. On ne va pas en faire trop, mais on devrait continuer de laisser la politique monétaire fonctionner pour s’assurer que l’inflation atteigne sa cible.

Dans les discussions qui ont mené à votre dernière décision sur les taux, le conseil de direction de la banque s’est inquiété de la possibilité que l’inflation reste bloquée à un niveau supérieur à la cible. Qu’est-ce qui pourrait causer ça ?

Nous avons parlé de deux types de risque dans nos délibérations. Le premier, c’est que la tendance à la baisse de l’inflation s’arrête au-dessus de 2 %. Ce qu’on voit, c’est que l’économie est faible, et après deux ou trois trimestres de plus avec très peu de croissance, il devrait y avoir plus de pression à la baisse sur l’inflation.

Il y a d’autres facteurs qui poussent l’inflation à la hausse, comme le secteur du logement. L’augmentation des coûts hypothécaires est liée à notre politique, on l’avait prévu, mais tous les coûts de logement augmentent et ça crée des pressions à la hausse sur l’inflation. L’inflation va baisser, mais ça peut s’arrêter en haut de notre cible.

L’autre type de risque, c’est qu’il peut y avoir de nouveaux évènements qui poussent l’inflation à la hausse. Il y a encore des possibilités de choc d’approvisionnement avec ce qui se passe au canal de Panamá et au canal de Suez. Si le prix du pétrole augmente et que l’augmentation affecte le prix des aliments qui doivent être transportés par camion, par exemple, on devrait répondre par des hausses de taux ou en maintenant notre taux à un niveau plus haut, plus longtemps.

Vous avez commencé à ouvrir la porte à des baisses de taux d’intérêt. Est-ce que la faiblesse de l’économie pourrait imposer une baisse de taux, même sans la certitude que la baisse de l’inflation est durable ?

Les baisses de taux d’intérêt peuvent arriver avant que l’inflation ait atteint notre cible de 2 %, mais actuellement, il est vraiment trop tôt pour parler de baisses. On a besoin d’avoir des baisses dans nos mesures de l’inflation fondamentale, on a besoin de voir que c’est continu et durable. Nos mesures fondamentales sont un peu à la baisse dans les deux derniers mois, mais elles sont encore autour de 3,5 %. C’est trop et il est certainement trop tôt pour parler de baisses de taux d’intérêt.

Oui, les tendances sont à la baisse, mais c’est très graduel. On anticipe que dans les prochains mois, l’inflation va fluctuer, vous avez une très belle expression en français pour dire ça, en dents de scie. On pense que ça va prendre quelques mois avant de voir des signes plus clairs.

Le Canada vit une croissance démographique record et peut-être unique dans le monde. En quoi cela influence-t-il la politique monétaire et la lutte contre l’inflation ?

La forte hausse de la population a des effets différents sur l’économie selon les marchés. Dans le marché de la main-d’œuvre, les nouveaux immigrants sont de nouveaux travailleurs qui viennent réduire les pénuries. Ça aide à équilibrer le marché.

On a vu que le marché était clairement en surchauffe l’an dernier. Il y avait beaucoup de postes vacants. Les postes vacants sont maintenant presque au même niveau qu’avant la pandémie. On a vu une petite augmentation du taux de chômage. C’est lié à la forte immigration.

D’un autre côté, les nouveaux immigrants sont de nouveaux consommateurs aussi. Ils ont besoin de logements, donc ça crée plus de demande. En gros, l’immigration, c’est très positif pour le Canada, ça augmente notre croissance potentielle, le taux de croissance qu’on peut atteindre avant de créer des pressions inflationnistes. Mais c’est clair qu’à court terme, il y a certains ajustements. Une raison importante pour laquelle le manque d’offre dans le secteur du logement est plus grae, c’est qu’il y a plus d’immigrants ici au Canada. On devrait penser à tous les aspects de cette politique.

En somme, ça complique le travail de la Banque du Canada ?

Oui. Il y a un certain ajustement quand l’immigration augmente assez vite.

À long terme, pour l’inflation, c’est peut-être probablement à peu près neutre parce que ça ajoute de nouveaux travailleurs et ça ajoute aussi une nouvelle demande. Donc, l’offre et la demande, les deux montent.

À court terme, il y a des ajustements et oui, cela a des effets, surtout sur le coût du logement. Donc, à court terme, c’est un peu plus compliqué.