Chaque samedi, un de nos journalistes répond, en compagnie d’experts, à l’une de vos questions sur l’économie, les finances, les marchés, etc.

J’aimerais comprendre comment un pays peut avoir une économie avec un PIB en croissance de moins de 3 %, alors que son taux d’inflation est de plus de 6 %.

Chantal B.

Pour répondre à cette question, La Presse a fait appel à l’économiste Alexandra Ducharme, de la Banque Nationale. Mme Ducharme produit régulièrement des analyses sur l’évolution des chiffres du PIB (produit intérieur brut) et de l’inflation dans l’économie canadienne.

D’emblée, Mme Ducharme signale que cet écart apparent entre le taux de croissance du PIB et le taux d’inflation n’est pas considéré comme un indicateur vraiment pertinent en analyse de la conjoncture économique. De même que dans l’analyse de la gestion de la politique monétaire et des taux d’intérêt par la Banque du Canada.

Comme solution de rechange, Alexandra Ducharme suggère d’expliquer ce découplage entre le taux de croissance du PIB et le taux d’inflation en se tournant vers un indicateur plus important en analyse de la conjoncture économique, c’est-à-dire l’écart entre le niveau du « PIB réel » et le « PIB potentiel » de l’économie canadienne.

Pourquoi ces deux notions de PIB ?

« Pour l’essentiel, le PIB réel réfère à la mesure de l’activité économique au Canada qui est mise à jour chaque trimestre, et déjà largement médiatisée dans l’actualité économique », résume Mme Ducharme.

« Quant au PIB potentiel, il s’agit d’une estimation entretenue par les économistes, dont ceux de la Banque du Canada, afin de déterminer la capacité de l’économie en fonction de certains facteurs socioéconomiques, notamment la croissance de la population en emploi. »

Quelle est la relation entre ces deux notions de PIB ?

En règle générale, lorsque le niveau du PIB réel dépasse celui du PIB potentiel, c’est considéré comme un indicateur que la demande de biens et services dans l’économie dépasse l’offre disponible. Ça peut donc être une cause potentielle de pressions inflationnistes.

Alexandra Ducharme, économiste de la Banque Nationale

« En contrepartie, lorsque le PIB réel est inférieur à l’estimation du PIB potentiel, c’est habituellement un indicateur que la demande de biens et services est inférieure à l’offre disponible. Une telle conjoncture peut augurer d’une baisse des pressions inflationnistes dans l’économie. »

Cela dit, ajoute Mme Ducharme, l’un des principaux objectifs de la gestion de politique monétaire (taux d’intérêt) par la Banque du Canada est « de maintenir un certain équilibre entre le niveau du PIB réel et le niveau du PIB potentiel dans l’économie canadienne ».

Ainsi, en période d’écart négatif entre ces deux chiffres de PIB, la Banque du Canada sera motivée à maintenir les taux d’intérêt bas afin de stimuler l’économie sans toutefois risquer d’attiser l’inflation.

À l’opposé, en cas d’écart positif du PIB réel par rapport au PIB potentiel, la Banque du Canada sera alors incitée à augmenter les taux d’intérêt afin de freiner la demande de biens et services, et atténuer ainsi les pressions inflationnistes dans l’économie.

C’est d’ailleurs cette conjoncture qui perdure dans l’économie canadienne depuis la sortie de la crise de la pandémie. Ce qui explique en bonne partie la rapide séquence de hausses de taux d’intérêt menée par la Banque du Canada depuis le début de l’an dernier, et dont les effets se font de plus en plus sentir dans l’économie.

À cet égard, Alexandra Ducharme note que la plus récente prévision de la Banque du Canada de croissance du PIB réel au premier trimestre 2023 – à 2,3 % – est maintenant égale à son estimation du taux de croissance du PIB potentiel.

Cependant, étant donné l’impact retardé des hausses de taux d’intérêt déjà réalisées, la croissance du PIB réel au deuxième trimestre de 2023 pourrait être inférieure à la croissance du PIB potentiel.

De l’avis de Mme Ducharme, cette observation augure d’un prochain retour du PIB réel au niveau du PIB potentiel, et donc d’une détente des pressions inflationnistes dans l’économie canadienne.

C’est aussi ce qui aurait motivé la Banque du Canada à faire état récemment de son intention de mettre en pause sa politique de hausses de taux d’intérêt au cours des prochains mois.