Quand l’incertitude augmente, l’or a la cote. C’est une tendance qui ne se dément pas, qu’on observe encore actuellement.

Au cours des six derniers mois, le prix d’une once d’or a bondi de 20 % et il s’approche maintenant de son record historique de 2075 $ US de 2020.

Guerre en Ukraine, inflation et menace de récession, les raisons ne manquent pas pour expliquer la popularité de l’or auprès d’investisseurs inquiets qui cherchent à se mettre à l’abri de la tourmente.

Ce qui est particulier, cette fois, c’est que les banques centrales de nombreux pays achètent des quantités importantes d’or à mettre dans leurs réserves, ce qui soutient le cours du métal.

En 2022, les banques centrales ont acheté une quantité record d’or, soit 1136 tonnes. C’est une augmentation de 150 % en une seule année.

Cette frénésie se poursuit cette année. En janvier et février, les banques centrales ont continué leurs emplettes, malgré l’augmentation du prix du métal. Les réserves totales des banques centrales ont augmenté de 74 tonnes en janvier et de 52 tonnes en février.

Il s’agit du début d’année le plus important pour les achats d’or par les banques centrales depuis 2010, selon le World Gold Council, qui est la bible de l’industrie.

Les banques centrales détiennent ensemble 20 % de tout l’or du monde.

Elles gardent de l’or en réserve pour se protéger de l’inflation des fluctuations monétaires et pour diversifier leurs risques. L’attrait de l’or pour les banques centrales a diminué avec le temps : le métal est moins liquide que les devises, il ne rapporte aucun rendement et il doit être entreposé de façon sécuritaire, ce qui le désavantage. Le Canada, par exemple, n’a pas d’or dans ses réserves conservées à la Banque du Canada.

Les banques centrales du monde ont été des vendeurs nets d’or sur le marché pendant deux décennies, jusqu’au tournant des années 2000. La tendance s’est inversée depuis, et les banques centrales se sont remises à acheter de l’or. Mais le monde a changé : alors que les vendeurs étaient les pays les plus riches, qui en avaient beaucoup dans leurs réserves, les acheteurs sont surtout les pays émergents.

Les grandes manœuvres

La Russie et la Chine sont en tête des pays les plus actifs sur le marché de l’or. La Russie, surtout, s’est mise à acheter de l’or en quantité après les sanctions qui lui ont été imposées après son invasion de la Crimée en 2014.

Ensemble, la Russie et la Chine ont réalisé plus de 50 % des achats officiels d’or entre 1999 et 2021, selon les statistiques du Fonds monétaire international.

Les échanges commerciaux se sont accrus entre ces deux pays depuis le début de la guerre en Ukraine. Coupée du système de paiement international Swift, qui l’empêche de faire des transactions en dollars américains, la Russie multiplie les échanges avec la Chine, avec une volonté partagée par les deux pays de réduire leur dépendance envers la devise américaine.

L’augmentation des réserves en or dans ces deux pays, de même que dans bon nombre d’autres pays émergents, prépare la voie vers la dé-dollarisation de l’économie mondiale.

La dominance du dollar américain dans le monde n’est pas menacée. Du moins pas encore. Le billet vert compte pour 60 % des réserves des banques centrales du monde, mais cette suprématie commence à inquiéter et à être contestée.

Que la Russie et la Chine tentent d’imposer leurs devises dans leurs échanges commerciaux n’est pas étonnant. Ce qui l’est plus, c’est qu’ils ont des partenaires de plus en plus réceptifs à l’idée de réduire leur dépendance au dollar américain.

Le Brésil et l’Argentine parlent de créer une monnaie commune, l’Inde et les Émirats arabes unis ont l’intention de commercer dans leurs monnaies respectives et même l’Arabie saoudite, l’allié traditionnel des États-Unis, se dit ouverte à vendre son pétrole en yuan ou devises autres que le dollar américain.

L’augmentation des achats d’or par les banques centrales est un signe que les grandes manœuvres sont en cours pour déloger le dollar du trône qu’il occupe depuis la fin de la Première Guerre mondiale.