La Banque du Canada augmente son taux directeur de 25 points de base, à 4,5 %, et annonce une pause pour évaluer l’impact de l’augmentation rapide des taux d’intérêt sur l’économie.

« Il est temps de faire une pause », a fait savoir le gouverneur de la banque centrale, Tiff Macklem, lors de la conférence de presse qui a suivi l’annonce de la hausse du taux directeur.

C’est une « pause conditionnelle », a-t-il précisé. Si l’inflation continue de ralentir, « ça voudra dire qu’on en a fait assez ». Dans le cas contraire, la banque centrale se dit prête à continuer d’augmenter son taux directeur pour mater l’inflation.

La Banque du Canada a augmenté huit fois son taux directeur en moins d’un an, pour une hausse totale de 425 points de base. « Et ça fonctionne », a martelé Tiff Macklem. Les prix augmentent moins vite et les consommateurs commencent à réduire leurs dépenses, a-t-il illustré.

À 4,5 %, le taux directeur est à son niveau le plus élevé en 15 ans. Le plein effet des hausses de taux est encore à venir, a répété le gouverneur.

La pause annoncée par la Banque du Canada pourrait se prolonger, selon plusieurs économistes. « La Banque va vouloir laisser passer un peu de temps pour accumuler les données, croit Jimmy Jean, économiste en chef de Desjardins. On est rendus là. »

La prochaine décision de la banque centrale pourrait être une baisse du taux directeur, prévoient Desjardins et d’autres économistes. « Nous ne pensons pas que des hausses additionnelles soient nécessaires selon notre scénario légèrement moins optimiste que celui de la Banque du Canada », avance l’économiste en chef de la Banque Laurentienne, Sébastien Lavoie.

Pas de baisse de taux en vue

L’inflation est passée de 8,1 % en juin à 6,3 % en décembre, mais c’est encore trop élevé, a fait valoir le gouverneur de la Banque du Canada. « L’économie n’a pas ralenti autant qu’on le pensait, le marché du travail reste tendu et les entreprises continuent d’avoir de la difficulté à trouver du personnel. »

L’économie canadienne a créé plus de 200 000 emplois au cours des trois derniers mois et le taux de chômage, à 5 %, est tout près de son creux historique.

C’est un symptôme d’une économie qui surchauffe, selon Tiff Macklem. La banque centrale prévoit une croissance économique presque à zéro pour le Canada cette année, et peut-être même une légère récession, a reconnu le gouverneur.

Il pourrait y avoir deux ou trois trimestres négatifs, mais pas de récession majeure. C’est ce dont nous avons besoin pour réduire les pressions inflationnistes.

Tiff Macklem, gouverneur de la Banque du Canada

La Banque du Canada prévoit qu’à moins d’une nouvelle flambée des prix de l’énergie et des produits de base, l’Indice des prix à la consommation va continuer à ralentir et atteindre 3 % avant la fin de l’année. Le retour à la cible de 2 % devra attendre à 2024, prévoit la banque dans son Rapport sur la politique monétaire qui actualise ses prévisions économiques.

La cible est quand même en vue et les marchés financiers escomptent déjà une réduction du taux directeur. Le gouverneur de la Banque du Canada a fermé cette porte, du moins à court terme. « Il est beaucoup trop tôt pour parler de baisse de taux. Nous avons encore beaucoup de chemin à faire avant d’atteindre la cible de 2 % », a-t-il soutenu.

La Banque du Canada prévoit que la croissance de l’économie canadienne devrait stagner jusqu’autour du milieu de 2023 et se redresser plus tard dans l’année. Elle prévoit une croissance du produit intérieur brut d’environ 1 % en 2023 et de 2 % en 2024, ce qui correspond essentiellement à sa projection d’octobre.

Le gouverneur n’aime visiblement pas dire le mot « récession » et préfère parler de stagnation, observe Jimmy Jean. Mais l’économie va continuer de ralentir et le chômage va augmenter, prévoit-il. « Ce n’est jamais arrivé que l’économie subisse un choc aussi important sans récession. »

La classe politique réagit

En marge de la retraite de son cabinet à Hamilton, le premier ministre Justin Trudeau a réagi à cette énième hausse en faisant valoir que son gouvernement avait offert des mesures de répit aux contribuables (soins dentaires, crédit pour la TPS doublé, aide au logement) et en arguant que la situation fiscale du Canada était « la meilleure de tous les pays du G7 ». La réaction a été tout autre à Ottawa, où le conservateur Pierre Poilievre est tombé à bras raccourcis sur le premier ministre. « Le problème peut être décrit en deux mots. Justin Trudeau. Les Canadiens qui ont [contracté] des grandes dettes à cause du fait que [Justin] Trudeau a dit que les taux allaient rester bas sont maintenant en crise totale », a-t-il dénoncé en point de presse au parlement. À l’autre bout du pays, en Colombie-Britannique, le dirigeant néo-démocrate Jagmeet Singh a lui aussi regretté ce poids supplémentaire qui vient de s’ajouter sur les épaules des familles et des aînés. « C’est déjà difficile de trouver du logement abordable […] et ça va encore empirer la situation parce que les hypothèques et les loyers sont élevés à cause des taux d’intérêt élevés », a-t-il affirmé, exhortant les libéraux à investir davantage en logement abordable.

Mélanie Marquis, La Presse

Pertes de la Banque du Canada : solution en vue

Le gouvernement du Canada va permettre à la Banque du Canada de rembourser les pertes importantes à même ses revenus avec un amendement à sa loi constitutive, a fait savoir mercredi le gouverneur Tiff Macklem en réponse à une question d’un journaliste. « Il s’agit d’une bonne solution », a-t-il dit. La banque centrale, qui a toujours été profitable, doit remettre tous ses excédents au gouvernement fédéral. Elle pourrait perdre jusqu’à 8,8 milliards au cours des prochaines années, selon une estimation de l’Institut C.D. Howe. Avec la hausse rapide des taux, les revenus d’intérêt perçus par la banque sur ses actifs sont insuffisants pour couvrir l’intérêt qu’elle verse sur les dépôts des banques commerciales. Toutes les banques centrales qui ont recours à l’assouplissement quantitatif pour limiter l’impact économique de la pandémie sont dans la même situation, a relativisé le gouverneur, en soulignant que ces déficits n’avaient aucun impact sur la politique monétaire.

Hélène Baril, La Presse

Des discussions publiques

La Banque du Canada va publier le 8 février un compte rendu des discussions de son conseil de direction qui ont mené à la décision d’augmenter le taux directeur pour la huitième fois consécutive. C’est la première fois que la banque centrale donne accès à ces délibérations, contrairement à la Réserve fédérale américaine, qui publie depuis longtemps ce qui est connu sous le nom de « minutes » de la Fed.

« Ce sera intéressant de voir et de comparer les arguments de ceux qui étaient pour la hausse et ceux qui étaient contre », estime l’économiste en chef de Desjardins, Jimmy Jean. La publication des discussions du conseil de direction de la banque, prévue deux semaines après chaque décision sur le taux directeur, permettra de mieux comprendre ces décisions et de rendre le fonctionnement de la banque plus transparent, selon lui.

Hélène Baril, La Presse

Le suspens se poursuit au Québec

Le Québec est-il déjà en récession ? La question se pose encore. L’Institut de la statistique du Québec a rapporté mercredi que le produit intérieur brut (PIB) du Québec avait augmenté de 0,5 % au mois d’octobre, après un repli de 0,3 % en septembre. Ce regain de vie s’observe tant dans le secteur des biens que dans celui des services. Le commerce de détail et le commerce de gros ont été particulièrement dynamiques en octobre, ce qui indique que le taux d’épargne élevé des ménages québécois et leur niveau d’endettement relativement bas les aident à soutenir les taux d’intérêt plus élevés et la hausse des prix, selon Daren King, économiste de la Banque Nationale. Il faudra attendre les données des mois de novembre et décembre avant de savoir si l’économie québécoise est oui ou non en récession. Depuis le début de 2022, le PIB québécois croît au rythme annualisé de 2,3 %, comparativement à 3,2 % dans l’ensemble du Canada.

Hélène Baril, La Presse