(Hamilton) Les avertissements se multiplient et pointent tous dans la même direction : le gouvernement Trudeau devra tempérer ses ardeurs en matière de dépenses s’il ne veut pas alimenter les pressions inflationnistes et forcer la Banque du Canada à resserrer d’un autre cran sa politique monétaire.

Pis encore, les projections financières contenues dans l’énoncé économique de la ministre des Finances, Chrystia Freeland, en novembre, s’avèrent déjà trop optimistes, selon une récente étude. Résultat : les risques que font peser une récession et des taux d’intérêt élevés pendant une longue période sur la marge de manœuvre financière du gouvernement fédéral ont été sous-estimés.

Après le Conseil canadien des affaires, qui a publié une analyse des risques qui planent sur l’économie, lundi, trois experts ont souligné mardi la nécessité de faire preuve de prudence en 2023 en raison des fortes turbulences qui se profilent à l’horizon.

Ces trois experts – Carolyn Wilkins, ancienne première sous-gouverneure de la Banque du Canada et chercheuse principale au Griswold Center for Economic Policy Studies de l’Université Princeton, Kevin Milligan, professeur d’économie à l’Université de la Colombie-Britannique, et Anil Arora, statisticien en chef chez Statistique Canada – ont fait le point sur l’état de l’économie canadienne devant les ministres du gouvernement Trudeau, réunis à Hamilton pour une retraite du Cabinet pendant trois jours.

Le gouvernement Trudeau fait l’objet de vives pressions de la part des provinces pour qu’il augmente les transferts aux provinces en santé à hauteur de 28 milliards de dollars par année. Il fait aussi l’objet de pressions de la part du Nouveau Parti démocratique, avec lequel il a conclu une entente l’an dernier assurant la survie politique des libéraux à la Chambre des communes jusqu’en juin 2025. Le NPD exige des investissements dans le prochain budget afin de mettre sur pied un programme national d’assurance-médicaments, entre autres choses.

PHOTO NICK IWANYSHYN, LA PRESSE CANADIENNE

Carolyn Wilkins, Kevin Milligan et Anil Arora

Mais les voyants sur le tableau de bord invitent à la prudence budgétaire, selon les experts. Depuis son arrivée au pouvoir en 2015, le gouvernement Trudeau n’a jamais présenté un budget équilibré.

« Nous pouvons nous attendre à ce que l’économie ralentisse considérablement. Nous pouvons nous attendre à ce que le taux de chômage augmente tant ici, au Canada, qu'à d'autres endroits comme les États-Unis, l’Europe et le Royaume-Uni », a soutenu Carolyn Wilkins en point de presse après la rencontre avec le Cabinet.

Mme Wilkins a souligné que les effets de la hausse des taux d’intérêt décrétée par la Banque du Canada en 2022 afin de juguler l’inflation commencent à peine à se faire sentir. Elle a précisé que si d’autres hausses sont nécessaires, les Canadiens pourraient être durement affectés en raison de l’endettement important de la population canadienne.

La majorité des économistes s’attendent d’ailleurs à ce que la Banque du Canada annonce ce mercredi une nouvelle hausse du taux directeur de 0,25 % pour le porter à 4,50 %.

Des « risques sérieux »

Pour sa part, Kevin Milligan a convenu qu’il y a des « risques sérieux ». Les taux d’intérêt, l’inflation et le ralentissement prévu de l’économie auront un impact important sur les revenus du gouvernement fédéral, a-t-il indiqué.

Interrogée à ce sujet, la ministre Freeland a reconnu qu’il y a « beaucoup d’incertitude » et de « volatilité » qui affectent l’économie mondiale. Mais elle a soutenu que le Canada sera en mesure d’affronter cette période de turbulence en position de force. Elle a ajouté que la prudence budgétaire sera la règle d’or en planifiant le prochain budget.

C’est la formule que tout gouvernement doit suivre en préparant un budget. Si la marge de manœuvre financière est moins importante, il faut en faire moins.

Chrystia Freeland, ministre des Finances

Mme Freeland a ajouté que le gouvernement Trudeau s’était astreint à une rigueur budgétaire lors du plus récent budget et de l’énoncé économique.

« L’an dernier, nous avons enregistré le déficit le plus petit des pays du G7 et nous avons aussi présenté la dette la moins importante en proportion du PIB du G7. Nous avons fait cela parce que nous avons compris que l’inflation était élevée et qu’il ne fallait pas jeter de l’huile sur le feu pour ne pas rendre le travail de la Banque du Canada plus difficile. »

Prévisions trop optimistes

Dans son rapport commun publié lundi, le Conseil canadien des affaires et la firme Bennett Jones ont affirmé que les prévisions budgétaires présentées dans le plus récent budget fédéral et l’énoncé économique de l’automne étaient trop optimistes.

Le rapport, rédigé par l’ancien gouverneur de la Banque du Canada David Dodge et l’ancien conseiller libéral en politique financière Robert Asselin, concluait que les prévisions du gouvernement étaient basées sur un ensemble « plausible, mais optimiste » d’hypothèses économiques et de taux d’intérêt, qui ont toutefois peu de chances de se réaliser.

Les auteurs ont affirmé qu’il y a une « forte probabilité d’une récession plus grave » cette année et que les promesses libérales dans tous les secteurs coûteront beaucoup plus cher que prévu – que ce soit le financement des soins de santé, la défense nationale, les améliorations des infrastructures ou la lutte contre le changement climatique.

Avec La Presse Canadienne