Pour la première fois en 88 années d’existence, la Banque du Canada inscrira des chiffres à l’encre rouge dans ses prochains résultats financiers trimestriels, dont la publication est prévue la semaine prochaine. Des pertes de quelques milliards de dollars sont prévues au cours des prochaines années. Explications.

D’où viennent les profits de la Banque du Canada ?

La Banque du Canada, comme toutes les autres banques centrales, est généralement une entreprise très rentable. Ses profits viennent de l’émission de la monnaie, qu’on appelle droit de seigneuriage, un droit qui appartient en exclusivité aux banques centrales. La Banque du Canada reçoit aussi des revenus d’intérêt sur les titres de dette du gouvernement fédéral qu’elle achète. Ces revenus, diminués des intérêts versés sur les réserves des banques commerciales qu’elle abrite, sont suffisants pour payer ses dépenses de fonctionnement et ils génèrent année après année des surplus qui sont versés au gouvernement fédéral. Ces profits atteignent environ 1 milliard de dollars annuellement.

Comment une banque centrale peut-elle perdre de l’argent ?

La réponse courte, c’est l’assouplissement quantitatif que la Banque du Canada a fait pour réduire l’impact de la pandémie sur l’économie canadienne, explique David Dupuis, économiste et professeur à l’Université de Sherbrooke.

Comme les autres banques centrales, la Banque du Canada a acheté massivement des titres de dette du gouvernement fédéral pour mettre de l’huile dans le moteur de l’économie. Son bilan a ainsi augmenté de 120 milliards à 575 milliards en l’espace de 12 mois. La banque a cessé ces achats, mais a toujours pour 415 milliards de dollars de titres qui rapportent un taux d’intérêt très bas, alors qu’elle doit rémunérer les réserves déposées par les banques commerciales au taux directeur, un taux qui a augmenté rapidement et qui atteint aujourd’hui 3,75 %.

Les revenus d’intérêt de la banque centrale sont donc inférieurs à ses dépenses d’intérêt, d’où l’apparition d’un déficit, le premier de son histoire.

C’est du jamais-vu, mais la Banque du Canada n’est pas la seule à afficher des pertes cette année. La Réserve fédérale américaine et la banque centrale d’Australie, entre autres, sont dans la même situation.

Est-ce que ça veut dire que la Banque du Canada en a trop fait pour stimuler l’économie ?

Ce n’est pas dans le bilan de la banque centrale qu’on peut voir s’il y a eu trop ou pas assez d’assouplissement quantitatif, mais plutôt dans l’inflation, précise David Dupuis. L’augmentation du taux d’inflation est le résultat combiné de la politique monétaire et des mesures d’aide du gouvernement fédéral, mais aussi de facteurs externes comme les problèmes des chaînes d’approvisionnement et de la guerre en Ukraine. Le Canada est un des pays qui ont en fait le plus pour réduire l’impact de la pandémie sur l’économie, et une partie de l’inflation est certainement attribuable aux politiques fiscale et monétaire. Ces politiques ont par ailleurs permis une relance rapide de l’économie, souligne le professeur.

À quand le retour des profits ?

La Banque du Canada a cessé l’assouplissement quantitatif et commencé à réduire son portefeuille d’obligations du gouvernement du Canada en octobre 2021. Depuis, son bilan a été réduit de 28 %, de 575 à 415 milliards. La situation financière de la banque devrait s’améliorer à mesure que ce bilan s’allégera, ce qui pourrait prendre quelques années.

« La Banque enregistrera des pertes durant une période, puis renouera avec des gains nets positifs », a fait savoir le gouverneur Tiff Macklem devant le Comité des finances de la Chambre des communes mercredi.

Les pertes pourraient atteindre 5 milliards, selon les chiffres qui circulent, mais que la banque centrale ne confirme pas. L’ampleur de ces pertes dépendra de la trajectoire des taux d’intérêt et de l’évolution de l’économie, a indiqué le gouverneur.

« Si l’inflation continue de s’apaiser et que les taux arrêtent de monter, ça pourrait prendre deux ans avant de retourner aux profits », estime Steve Ambler, de la Chaire David Dodge en politique monétaire de l’Institut C.D. Howe et professeur à l’Université du Québec à Montréal.

Comment ces déficits seront-ils comblés ?

Le déficit ne change rien au fonctionnement de la banque centrale. Comme ça ne s’est jamais produit avant, une solution devra être trouvée pour éponger les pertes, le temps que son bilan se normalise. Une des solutions envisagées serait que l’actionnaire de la banque centrale, le gouvernement fédéral, fasse simplement un chèque à la banque centrale. Selon Steve Ambler, cette solution pourrait laisser croire que le gouvernement fédéral vient à la rescousse de la banque centrale et qu’il peut ainsi influencer la politique monétaire. « Ce ne serait pas le cas, mais il faut penser aux apparences », observe-t-il.

Pour ne pas nuire à la crédibilité de la banque centrale, une meilleure solution serait de permettre à la Banque du Canada de créer un compte de report pour ses pertes, ce qui lui permettrait de rembourser son déficit quand les profits seront de retour, avant tout versement au gouvernement.

Un amendement à la Loi sur la Banque du Canada serait nécessaire pour créer un tel compte, croit Steve Amber qui, avec deux collègues, détaille cette avenue dans une publication de l’Institut C.D. Howe.