(Ottawa) La ministre des Finances, Chrystia Freeland, doit présenter une mise à jour économique et financière au début du mois de novembre. Depuis une semaine, elle prépare soigneusement le terrain à l’annonce de mauvaises nouvelles. Sans prononcer le mot qui commence par un R (récession), elle prévoit des mois difficiles.

« Les prochains mois seront exigeants. C’est important que les Canadiens m’entendent le dire », a répété la ministre des Finances à chacun de ses trois discours prononcés la semaine dernière à Gatineau, à Windsor (Ontario) et à Edmonton.

De fortes rafales souffleront dans le visage des familles, des travailleurs et des propriétaires de petites et de moyennes entreprises au cours des 18 prochains mois, selon elle.

Mais le gouvernement Trudeau ne pourra pas aider tout le monde, comme ce fut le cas durant la pandémie. Ottawa devra impérativement faire preuve de discipline afin de ne pas jeter de l’huile inflationniste sur le feu, a-t-elle affirmé. Elle part ainsi en croisade en faveur de la rigueur budgétaire – notion mise de côté par les libéraux depuis leur arrivée au pouvoir en 2015.

Même si l’inflation recule dans les prochains mois, la situation va rester difficile. Difficile pour nos amis. Pour notre famille. Pour nos voisins. Et pour nos communautés. Notre économie va ralentir, car la banque centrale doit s’attaquer à l’inflation.

Chrystia Freeland, ministre des Finances du Canada

« Plusieurs personnes vont voir leurs paiements d’hypothèque augmenter. Les affaires ne seront plus aussi bonnes que depuis le déconfinement. Et le taux de chômage ne sera plus à un creux historique », a-t-elle ajouté dans un rare élan de candeur de la part d’une ministre des Finances.

Deux questions s’imposent à la suite de ces discours. D’abord, saura-t-elle résister aux pressions du premier ministre Justin Trudeau s’il juge au contraire qu’il faut augmenter les dépenses pour soutenir les familles en difficulté ? Ces pressions pourraient être énormes si la cote de popularité des libéraux, au pouvoir depuis 2015, devait chuter alors que l’économie canadienne s’enlise.

Ensuite, sera-t-elle en mesure de tenir tête au Nouveau Parti démocratique (NPD) si la situation se corse davantage sur le front économique et que les troupes de Jagmeet Singh exigent de nouvelles mesures coûteuses pour continuer de soutenir les libéraux minoritaires à la Chambre des communes jusqu’en juin 2025, comme le stipule l’entente entre le camp libéral et le camp néo-démocrate conclue en mars ?

Dans le premier cas, il ne peut exister ne serait-ce qu’un semblant de divergence entre le premier ministre et son ministre des Finances sur les questions budgétaires.

Quand cela survient, le ministre des Finances doit faire ses valises.

C’est d’ailleurs arrivé à quelques grands argentiers dans le passé. L’ex-ministre Bill Morneau est le dernier en lice. En août 2020, il a démissionné de son poste en pleine pandémie de COVID-19. La raison officielle : il ne comptait pas briguer les suffrages à des élections fédérales qui n’étaient pas encore sur le radar. Elles ont finalement eu lieu un an plus tard. Mais la véritable cause de son départ était le différend qui l’opposait à Justin Trudeau au sujet de l’ampleur des dépenses fédérales pour relancer l’économie au sortir de la pandémie.

Dans le cas du NPD, son chef Jagmeet Singh a envoyé une lettre au premier ministre Justin Trudeau vendredi dans laquelle il l’exhorte à prendre de nouvelles mesures dès la mise à jour économique et financière afin de « protéger la population canadienne contre les effets de l’inflation et d’une récession imminente ».

Il réclame notamment l’instauration d’une taxe sur les « bénéfices exceptionnels » des entreprises et d’en redistribuer les fruits aux gens qui en arrachent. Cela a été fait dans d’autres pays, selon M. Singh.

PHOTO SPENCER COLBY, LA PRESSE CANADIENNE

Jagmeet Singh, chef du Nouveau Parti démocratique

Le leader néo-démocrate souhaite aussi l’adoption de mesures pour s’attaquer aux principaux facteurs structurels qui donnent de l’oxygène à l’inflation et augmentent les risques de récession, notamment de nouveaux investissements dans les infrastructures comme les ports et les chemins de fer où les marchandises sont transportées.

Et il propose une réforme immédiate du programme de l’assurance-emploi qui tiendrait compte des préoccupations des syndicats et des centrales syndicales. Au minimum, il estime qu’Ottawa doit rétablir les règles de l’assurance-emploi en vigueur à l’époque de la pandémie d’ici à l’adoption d’une réforme complète.

« Après une pandémie, une crise du coût de la vie et maintenant une récession imminente – provoquée en partie par les mesures trop agressives de la Banque du Canada et l’indifférence de votre gouvernement –, les Canadiennes et Canadiens ont désespérément besoin que nous agissions pour nous préparer à la tempête économique qui s’annonce », a-t-il plaidé dans sa lettre au premier ministre.

Mercredi, la Banque du Canada doit annoncer une autre hausse importante des taux d’intérêt. La majorité des observateurs s’attendent à une autre augmentation costaude de 75 points de pourcentage.

Depuis mars dernier, la Banque du Canada a majoré son taux d’intérêt directeur de 0,25 à 3,25 % – la hausse la plus forte des pays du G7. Cette hausse a évidemment fait bondir les coûts d’emprunt pour les familles et les entreprises.

Même si l’inflation a quelque peu ralenti au cours des derniers mois, le gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem, a clairement fait savoir qu’il était trop tôt pour faire une pause.

« En termes simples, il reste encore beaucoup à faire », a affirmé M. Macklem à l’occasion d’un discours à Halifax, le 6 octobre.

Son travail n’est pas terminé. Et les pressions politiques sur Chrystia Freeland ne font que commencer.