(Montréal) Avec les banques centrales qui resserrent rapidement leur politique monétaire pour contenir l’inflation, l’horizon économique semble morose, s’entend pour dire un panel de quatre experts devant les membres du Conseil des relations internationales de Montréal (CORIM).

Une nouvelle donne

Les politiques monétaires accommodantes, l’injection massive d’argent dans l’économie par les gouvernements et une consommation effrénée des ménages confinés à la maison ont généré une inflation qui aurait dû être transitoire, a rappelé Martin Lefebvre, vice-président, stratège et chef des placements de la Banque Nationale. La guerre en Ukraine et la politique anti-COVID-19 de la Chine ont changé la donne, a-t-il avancé, et permis à l’inflation de s’installer plus durablement.

L’économie mondiale entame maintenant un nouveau chapitre, croit Martin Coiteux, économiste en chef de la Caisse de dépôt et placement du Québec. « Depuis 10 ans, l’argent ne coûtait rien. Ça va changer. Les gouvernements devront prendre conscience qu’une dette, ça coûte quelque chose. »

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Martin Coiteux, économiste en chef de la Caisse de dépôt et placement du Québec

Il faut dépenser aux bons endroits, notamment dans la main-d’œuvre pour assurer les services dont la population vieillissante a besoin, dit celui qui a été président du Conseil du trésor dans le gouvernement de Philippe Couillard et qui avait serré la vis à cet égard. « Je négocierais différemment aujourd’hui », a-t-il reconnu.

Une récession inévitable

Jimmy Jean, vice-président et économiste de Desjardins, a cru un certain temps à la possibilité qu’on évite la récession. « On a voulu y croire, mais on a jeté l’éponge au cours de l’été. » Il estime maintenant qu’une récession est inévitable. « Quand les banques centrales disent qu’il faudra faire des sacrifices et commencent à préparer le terrain, c’est difficile de ne pas y croire », a-t-il expliqué.

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Jimmy Jean, vice-président, économiste en chef et stratège, Desjardins

L’économiste en chef de la Caisse de dépôt garde ses cartes serrées sur la probabilité d’une récession, mais il serait plutôt du même avis. « Je crois aux miracles, mais j’accorde aux miracles une toute petite probabilité », avance Martin Coiteux.

Selon Jimmy Jean, avec une hausse des taux d’intérêt, un choc énergétique et une bulle immobilière, tous les ingrédients d’une récession sont réunis. Il croit aussi que le nombre record de postes vacants n’empêchera pas une récession de se produire.

Changer de stratégies

Le nouveau contexte mondial oblige les entreprises à changer de stratégies, a expliqué de son côté Marie-France Paquet, économiste en chef d’Affaires mondiales Canada. Pour réduire leur dépendance envers la Chine, certaines entreprises voudront rapatrier leur production, ce qui se fera dans certains secteurs comme la technologie ou le matériel médical. Mais « ce n’est pas la solution de tout rapatrier », estime-t-elle.

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Marie-France Paquet, économiste en chef d’Affaires mondiales Canada

Il y a d’autres options, selon elle. Les entreprises peuvent augmenter leurs stocks, avoir plus qu’un fournisseur et conclure des partenariats avec des pays amis. Il faut absolument mieux utiliser les accords de libre-échange existants, a-t-elle insisté, soulignant que les entreprises canadiennes qui n’en profitent pas « laissent des millions sur la table ».

Par ailleurs, les chaînes d’approvisionnement continuent de s’améliorer, a-t-elle souligné. Le prix des conteneurs baisse et le temps d’attente dans les ports diminue. « Avant la pandémie, un conteneur, c’était entre 1300 et 1600 $ US. C’est monté à 11 000 $ US en septembre 2021 et maintenant, c’est 3500 $ », a-t-elle illustré.

Une inflation durable

Même si les banques centrales réussissent à reprendre le contrôle de l’inflation, le nouvel ordre économique mondial restera inflationniste, selon Martin Coiteux. Les banques centrales devront donc être aux aguets et, surtout, rester focalisées sur l’inflation plutôt qu’accepter d’autres missions comme la lutte contre les changements climatiques ou la recherche du plein-emploi, selon lui.

À plus court terme, Martin Lefebvre s’attend à ce que les banques centrales rassurent les marchés en leur donnant un signal sur la suite des choses. Il estime que l’inflation a plafonné au Canada et qu’on va bientôt avoir « une indication sur le moment où elles pourront lever le pied ».

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Martin Lefebvre, vice-président, stratège et chef des placements de la Banque Nationale

Le combat n’est pas encore gagné, croit pour sa part Jimmy Jean, qui s’attend à une autre augmentation de 75 points de base du taux directeur la semaine prochaine. Il a aussi un conseil pour les gouvernements, qui faciliterait le travail des banques centrales. « Laissez faire les chèques », dit-il.