« C’est anormal de payer une fortune à l’épicerie, mais aussi de voir que celui qui est à l’origine de l’aliment ne rentabilise pas ses investissements à la ferme. »

Charles-Félix Ross, directeur général de l’Union des producteurs agricoles du Québec (UPA), réagit à cette hausse de plus de 11 % du prix des aliments achetés au commerce dévoilée mercredi par Statistique Canada.

On pourrait penser que les agriculteurs bénéficient de cette augmentation, mais ça n’est pas du tout le cas, explique le directeur général. Certes, depuis 10 ans, les prix sont bons à la ferme, dit-il, mais les frais d’exploitation ont aussi beaucoup augmenté.

« Il y a un choc des coûts de production agricole, explique Charles-Félix Ross. Le prix des intrants a doublé en un an. »

Les intrants sont ces produits essentiels à l’agriculture, de l’engrais aux pesticides.

En hausse aussi : le carburant, les salaires de la rare main-d’œuvre et les taux d’intérêt.

« La dette agricole au Québec atteint 25 milliards de dollars. Avec une hausse de 3 % des taux d’intérêt, c’est 750 millions que ça coûtera de plus. »

Dans ce portrait déjà plutôt sombre, on peut ajouter le spectre de la récession et la guerre en Ukraine qui a de gros impacts et sur laquelle personne n’a de contrôle.

« Le conflit en Ukraine perturbe bien des choses, dit Charles-Félix Ross, et la chaîne d’approvisionnement est fragilisée depuis le début de la pandémie. »

Si je pouvais résumer la situation actuelle en un mot, ça serait : “incertitude”.

Charles-Félix Ross, directeur général de l’UPA

Bon point : selon Charles-Félix Ross, la plupart des consommateurs savent que les producteurs agricoles sont en amont de la production, au début de la chaîne et qu’ils ne s’enrichissent pas avec cette hausse du prix des aliments.

Les pommes de terre au rabais

Les consommateurs sont toutefois aussi sous pression et doivent faire des choix à l’épicerie.

Comme celui de manger plus de pommes de terre ?

Peut-être.

« Les gens se tournent vers des aliments qui leur en donnent pour leur argent », explique Francis Desrochers, président des Producteurs de pommes de terre du Québec, lui-même agriculteur dans la région de Lanaudière.

Et comme une bonne nouvelle arrive rarement seule, depuis quelques années, les producteurs de pommes de terre n’absorbent plus les soldes des supermarchés.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Francis Desrochers, président des Producteurs de pommes de terre du Québec

« Au Québec, environ 80 % des consommateurs achètent leurs pommes de terre [au rabais] », dit Francis Desrochers.

Les producteurs reçoivent désormais le même prix à la ferme que le sac de 10 livres soit vendu 1 $ une semaine ou 6 $ ou 7 $, la semaine suivante, explique-t-il.

Ce qui est très bien, car l’agriculteur confirme que l’inflation exerce une pression énorme sur sa comptabilité.

« L’augmentation du prix de la pomme de terre ne couvre pas la hausse de nos coûts de production. C’est certain que l’on absorbe une partie des coûts. Tout a augmenté, confirme Francis Desrochers, le prix des intrants, de la main-d’œuvre, du diesel. »

La stabilité par la proximité

Le prix des intrants a augmenté pour tous, peu importent ceux utilisés à la ferme, mais les structures de prix diffèrent grandement d’une entreprise à l’autre.

La ferme Les Carottés fait partie du réseau des fermiers de famille. Les clients payent un abonnement au tout début de la saison et ils reçoivent ensuite leurs aliments directement du producteur, qui fait la route pour les apporter au point de chute, éliminant du coup les intermédiaires.

« À notre échelle, on voit venir les coûts dont on aura besoin pour faire notre production », explique Laurence Harnois, cultivatrice à la ferme Les Carottés de Brigham, dans les Cantons-de-l’Est.

Le calcul a donc été fait en conséquence, en début de saison. Ce qui ne protège pas le concept de l’inflation, mais diminue son impact, dit-elle.

Pour les abonnés, le prix demeure stable durant la saison. Ainsi à l’abri du yoyo de l’inflation, les prix des légumes de saison deviennent très attrayants, compétitifs par rapport à ceux de l’épicerie.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Laurence Harnois, de la ferme Les Carottés

« C’est une chance que l’on a d’avoir ce réseau des fermiers de famille au Québec, dit Laurence Harnois. On se rend compte dans une situation comme celle que l’on vit actuellement que c’est très puissant, l’agriculture de proximité. »

Sébastien Angers, qui produit des citrouilles à Sainte-Monique, dans le comté de Nicolet-Yamaska, croit aussi qu’une partie des petits agriculteurs d’ici tireront profit de la situation.

« Avec l’inflation, tout le monde pellette la facture à son client, dit-il. Mais il y a une limite à ce que les consommateurs peuvent absorber. »

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

« Une crise, dit Sébastien Angers, c’est aussi une opportunité. »

Sébastien fait des graines de citrouille qui sont vendues par l’entreprise québécoise Prana. Si on ne peut plus augmenter le prix du produit final, les agriculteurs devront être plus efficaces au champ.

Selon lui, pour certains, ça pourrait être l’occasion d’adopter des pratiques plus durables, car plus le travail est fait « dans le sens de la nature, plus la nature est généreuse ».