C’est le bon temps pour aller folâtrer dans les grands magasins de Londres et pour essayer les meilleurs restaurants de Paris. Surtout si vous êtes américain ou si vous avez les poches pleines de dollars américains.

L’augmentation de la valeur du billet vert depuis le début de l’année rend les plaisirs des grandes villes européennes très abordables, et les Américains en profitent.

Les touristes en provenance des États-Unis envahissent l’Europe cet automne, rapporte le magazine Forbes, pour bénéficier du taux de change le plus avantageux depuis 20 ans.

L’euro a atteint la parité avec le dollar américain l’été dernier pour la première fois en deux décennies. Il a repris quelques plumes depuis, mais reste encore très bas, à un peu plus de 1 $ US.

Les virées à Londres, à Tokyo et à peu près partout dans le monde sont devenues plus attrayantes pour les Américains, tant leur devise s’est appréciée vis-à-vis de la plupart des autres monnaies au cours des derniers mois.

Le marché des changes répond à l’offre et à la demande. Le dollar américain profite actuellement de deux facteurs qui se renforcent l’un l’autre. D’abord, le billet vert est une valeur refuge qui s’apprécie quand l’incertitude économique augmente. Avec la guerre en Ukraine, les tensions commerciales qui s’aggravent et l’inflation qui ronge le pouvoir d’achat des consommateurs, l’économie mondiale est au bord du précipice. Et plus l’anxiété augmente, plus le dollar américain en profite.

Ensuite, la remontée rapide des taux d’intérêt aux États-Unis pour mater l’inflation rend le dollar américain plus attrayant pour les investisseurs. Selon les estimations de JP Morgan, les investisseurs ont retiré 70 milliards de dollars des fonds obligataires des marchés émergents jusqu’à présent en 2022 pour les rediriger là où le rendement est plus sûr et plus intéressant.

La plupart des devises sont donc à la peine dans le contexte actuel. La force du dollar contribue à alimenter l’inflation partout dans le monde, étant donné que les produits de base s’échangent en dollars américains et que le billet sert de monnaie d’échange dans les transactions internationales.

La force du dollar a surtout pour effet d’appauvrir les pays les plus pauvres, qui n’ont pas les moyens d’enrayer la chute de leur devise et dont les dettes libellées en devises américaines deviennent de plus en plus coûteuses.

Certains pays s’en tirent mieux que d’autres. C’est le cas du Canada, dont la devise a faibli, mais moins que celles des cinq autres pays du G7 parce que la Banque du Canada mène un combat aussi acharné que la Réserve fédérale contre l’inflation, à coups de hausse de taux d’intérêt, et que le prix du pétrole, principal produit d’exportation du pays, se maintient à des niveaux élevés.

Ailleurs, c’est plutôt catastrophique. La Grande-Bretagne est aux prises avec une économie en ruine et une inflation hors de contrôle. L’augmentation des taux d’intérêt nécessaire pour combattre l’inflation et soutenir sa devise en chute libre risque d’aggraver une récession qui s’annonce inévitable.

La hausse soutenue du dollar américain met surtout à risque les économies des pays les plus endettés, qui n’ont pas la latitude nécessaire pour contrer la chute de leur monnaie. Les taux d’intérêt y sont déjà élevés et les économies sont chancelantes.

Les pays les plus pauvres peuvent rarement emprunter sur les marchés dans leur monnaie locale, jugée trop instable. Ils doivent donc emprunter en dollars américains et la hausse de la valeur du dollar rend les remboursements plus coûteux et souvent impossibles. Le défaut de paiement les guette.

C’est ce qui est arrivé dans l’histoire récente, quand les États-Unis ont augmenté leurs taux d’intérêt pour combattre l’inflation. Au début des années 1980, une crise financière a secoué le continent sud-américain, où la plupart des pays ont été incapables d’honorer leurs dettes.

Une dizaine d’années plus tard, la remontée des taux d’intérêt aux États-Unis a provoqué le chaos au Mexique, dont l’économie a plongé et où l’inflation a grimpé à plus de 30 %.

Il faudra voir si les erreurs du passé ont servi à quelque chose. Plusieurs pays ont pu réduire leur dépendance à la devise américaine en empruntant notamment auprès de la Chine.

Le Fonds monétaire international a quand même lancé l’alerte : un quart des pays émergents et 60 % des pays les plus pauvres sont en détresse. Une nouvelle crise de la dette se dessine.

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  • 40 %
    Proportion de toutes les transactions mondiales réalisées en dollars des États-Unis
    SOURCE : Fonds monétaire international