L’annonce d’un léger repli du taux d’inflation aux États-Unis en juillet a suscité un vif rebond sur les marchés financiers nord-américains, les principaux indices boursiers s’affichant en hausse de près de 2 % en fin de séance mercredi.

Mesurée à 8,5 % en taux annualisé, l’inflation américaine en juillet s’avère inférieure au taux de 9,1 % en juin, qui était aussi un niveau record en 20 ans. De plus, il s’agit d’un repli plus important que ce à quoi s’attendaient les marchés financiers, qui anticipaient un taux de 8,7 %.

Les investisseurs y ont perçu un signal que ce léger repli de l’inflation, même encore très partiel, pourrait inciter la Réserve fédérale américaine (Fed) à modérer ses prochaines hausses de taux d’intérêt.

Tour d’horizon en cinq questions clés, avec les réponses recueillies auprès d’économistes et d’analystes du secteur financier et bancaire.

Qu’est-ce qui a provoqué ce repli de l’inflation ?

Économiste principal chez Desjardins, Benoit Durocher souligne que « la forte baisse des prix de l’essence observée en juillet [- 7,6 %] a entraîné une importante pression baissière […] contrebalançant la hausse des prix des aliments [+ 1,1 %] et du logement [+ 0,5 %]. »

À la Banque CIBC, l’économiste Karyne Charbonneau constate que la mesure des prix à la consommation aux États-Unis n’a pas changé entre juin et juillet, « ce qui a accentué la décélération du taux d’inflation à 8,5 % sur une base annuelle, en deçà des attentes à 8,7 % ».

Mme Charbonneau signale aussi que « la baisse des prix de l’essence [en juillet] a été compensée par des hausses des prix des aliments, mais aussi des logements locatifs, qui représentent une part significative du taux d’inflation de base ».

Qu’est-ce que cela veut dire pour l’état de l’économie américaine ?

De l’avis de Sal Guatieri, économiste principal chez BMO Marchés des capitaux, « l’annonce d’une quasi-stagnation de l’IPC [indice des prix à la consommation] en juillet [par rapport à juin] pourrait être la première indication claire que les consommateurs américains commencent à se rebeller contre les hausses de prix effrénées ».

En exemple, l’économiste de BMO cite le secteur du voyage et du tourisme, qui, après des mois de « haute voltige » avec la forte reprise de la demande, est confronté à un soudain ressac des intentions de voyage.

« Dans trois secteurs liés aux voyages — les compagnies aériennes, les hôtels et les sociétés de location de véhicules –, on a vu en juillet des réductions de prix pour le deuxième mois consécutif », souligne M. Guatieri. Il signale aussi une rechute des prix des vêtements, « alors que des détaillants doivent solder leurs soudains surplus d’inventaires ».

Quel aperçu cela donne-t-il de l’inflation au cours des prochains mois ?

La mesure d’une quasi-stagnation de l’IPC en juillet par rapport à juin est « un signe que l’inflation est sur le point de culminer aux États-Unis, même si la descente sera ralentie en raison de la hausse continue des salaires et des loyers », estime Sal Guatieri, de BMO Marchés des capitaux.

« Il n’est pas déraisonnable de s’attendre à ce que l’inflation ait franchi un tournant », dit pour sa part Claire Fan, économiste à la Banque Royale.

« À l’échelle de l’économie mondiale, les prix des produits de base se sont affaiblis, alors que les délais et les coûts de transport ont suivi une tendance persistante à la baisse. Aux États-Unis, la demande des consommateurs pour les biens et services, qui avait bondi au sortir de la pandémie, s’est finalement refroidie. Et ça devrait continuer de baisser dans les mois à venir, car l’inflation élevée et la hausse des coûts d’emprunt [taux d’intérêt] pèsent de plus en plus sur le pouvoir d’achat des ménages et des consommateurs. »

Quel sera l’impact sur les taux d’intérêt aux États-Unis ?

De l’avis de Benoit Durocher, de Desjardins, « le recul de l’inflation [en juillet] est certes une bonne nouvelle, mais il n’empêchera pas la Réserve fédérale américaine de poursuivre ses hausses de taux d’intérêt dans les mois à venir parce qu’il y a encore beaucoup de chemin à parcourir pour ramener l’inflation à un niveau satisfaisant ».

« Même si la hausse du taux d’inflation total semble avoir passé le sommet, le taux d’inflation sous-jacente [hors aliments et énergie] progresse toujours à un rythme un peu trop chaud au goût de la Fed », estime pour sa part Karyne Charbonneau, de la Banque CIBC.

« N’empêche, le léger repli du taux d’inflation en juillet apportera un certain soulagement à la Fed qui était nécessaire pour rester sur la voie d’une augmentation des taux de seulement 50 points de base [0,5 point de pourcentage] lors de sa prochaine réunion de politique monétaire, au lieu d’une hausse plus importante de 75 points de base [0,75 point de pourcentage]. »

Que penser de la réaction des marchés financiers à ce léger repli de l’inflation aux États-Unis ?

De l’avis de Jean Boivin, directeur de l’Institut d’investissement BlackRock et ex-directeur adjoint de la Banque du Canada, les investisseurs peuvent encore « s’attendre à ce que la Réserve fédérale américaine modifie éventuellement sa trajectoire de hausses de taux d’intérêt ».

Mais pour le moment, avertit M. Boivin, « la rigidité de l’inflation sous-jacente aux États-Unis [hors aliments et énergie] indique que les marchés financiers sont devenus trop optimistes quant au moment où la Fed pourrait changer de trajectoire. C’est pourquoi je ne pense pas que le rebond du marché boursier à court terme soit pertinent pour les investisseurs en regard de la volatilité encore à venir ».

Selon Derek Holt, vice-président et directeur des analyses économiques chez Scotia Capital, « il est prématuré de juger à partir de cette seule mise à jour de l’IPC [taux d’inflation] si la prochaine décision de la Fed en septembre sera une hausse des taux de 50 ou de 75 points de base ».

En fait, « je doute fort que ce premier repli de l’inflation puisse dissuader les tenants de la manière forte à la Fed de garder leur attention sur le resserrement continu du marché du travail et des pressions salariales aux États-Unis, en tant que risques principaux d’une inflation de base plus persistante », ajoute M. Holt.