À moins de vouloir déclencher une nouvelle guerre mondiale, les pays occidentaux n’ont pas beaucoup de moyens de s’opposer à l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Les sanctions économiques restent l’arme de prédilection, même si leur efficacité est toujours difficile à évaluer.

La pluie de sanctions qui s’est abattue sur la Russie aura certainement une répercussion négative sur l’économie du pays. Mais contrairement aux missiles, dont la force de frappe est immédiate, les armes économiques mettent du temps à produire leur effet.

Ailleurs, comme en Iran, à Cuba ou en Afghanistan depuis le retour au pouvoir des talibans, on a vu que l’effet de l’application des sanctions économiques pouvait être relativement rapide.

Le cas de la Russie est particulier. L’économie russe est un drôle d’animal. Le pays est la troisième puissance pétrolière du monde, derrière les États-Unis et l’Arabie saoudite. Il est riche en ressources de toutes sortes, y compris les plus convoitées par les économies modernes, comme l’aluminium, le nickel ou le titane. Mais il reste un pays émergent à bien des égards.

La Chine, qui est pourtant partie de plus loin, dépasse aujourd’hui la Russie au chapitre du produit intérieur brut par habitant et sa classe moyenne a fait une entrée en force dans la société de consommation. La population russe, pendant ce temps, fait du surplace.

La richesse russe bénéficie surtout au régime et à un cercle restreint d’amis et d’alliés, et la population en profite peu. En un sens, la Russie d’aujourd’hui n’est pas tellement différente de ce qu’elle était du temps du tsar Nicolas II.

Cette caste richissime a tendance à investir son argent à l’étranger pour se mettre à l’abri d’un possible changement d’humeur des dirigeants politiques. On peut les comprendre. L’histoire millénaire de la Russie regorge de cas d’hommes forts du régime tombés en disgrâce qui ont tout perdu, y compris la vie.

Ce n’est pas pour rien que les sanctions internationales contre la Russie visent des individus et leurs comptes bancaires à l’étranger. Le régime de Vladimir Poutine a besoin de l’appui de ces oligarques qui, s’ils sont privés du pouvoir de profiter de leurs milliards, pourraient se retourner contre lui. Le président russe lui-même est visé par le gel de ses avoirs à l’étranger.

L’arme nucléaire

En plus d’imposer des sanctions ciblées contre les individus et les entreprises liés au régime de Poutine, le monde occidental a la capacité de couper tous les liens financiers avec la Russie en lui interdisant l’accès à Swift, le réseau interbancaire par où passent toutes les transactions internationales. C’est ce qui s’est produit ce week-end.

Swift, acronyme de Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication, est un réseau sécurisé établi en Belgique qui sert 11 600 organisations financières dans 200 pays. Il a été créé en 1973 pour faciliter les échanges commerciaux et est maintenant considéré comme un service essentiel.

Couper l’accès des Russes à Swift a été comparé à utiliser l’arme nucléaire contre eux. Il fallait un vote majoritaire des pays membres pour l’utiliser et plusieurs ont hésité, avant de se résigner. Il est facile pour le Canada d’être favorable au bannissement de la Russie du réseau. Mais les conséquences peuvent être dramatiques pour les pays qui dépendent du gaz russe, comme l’Allemagne.

Les Russes ont néanmoins eu le temps de s’y préparer, la menace n’étant pas nouvelle. Le pays aurait d’ailleurs mis sur pied son propre réseau financier international qui, s’il a moins d’envergure, peut compter sur la participation de la Chine.

Depuis 2014 et les premières sanctions internationales qui ont suivi l’annexion de la Crimée, la banque centrale russe a accumulé des réserves estimées à 631 milliards US et réduit sa dépendance envers le système financier international, notamment en diminuant la part de dollars américains dans ses réserves de change, a rapporté le New York Times la semaine dernière. Les États-Unis, le Canada, la France, l’Italie, l’Allemagne et le Royaume-Uni se sont toutefois entendus au cours du week-end pour interdire les transactions de la banque centrale russe.

D’aucuns ont prédit un effondrement spectaculaire de l’économie russe dès ce lundi matin, en raison de ces nouvelles sanctions. Il faudra voir pendant combien de temps le régime russe pourra se passer du système financier international. Ses alliés les oligarques, par contre, pourraient être moins patients. « Finis le shopping à Milan, les partys à Saint-Tropez et les diamants à Anvers », a raillé sur Twitter le commissaire aux affaires étrangères de l’Union européenne, Josep Borrell, dans un message qui a été effacé par la suite.

Il faudra voir si les sanctions dirigées vers les amis du régime et son patron feront plus mal que les embargos et les autres types de sanctions, mais en tout cas, il faudra du temps pour en mesurer l’effet. Les armes économiques sont plus lentes à agir. Les Russes ont le temps d’envahir l’Ukraine et de s’y installer.